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songe pas à le contester, tous les cœurs généreux, toutes les âmes pénétrées du sentiment de la dignité nationale ont protesté contre les conditions imposées à la France par la coalition ; mais ces cœurs généreux ne pouvaient réussir à entraîner la foule. Ce qui dominait dans la multitude, dans la masse de la nation, c’était le besoin de la paix. Pour satisfaire ce besoin impérieux, la multitude s’est résignée, et la protestation des cœurs généreux est demeurée impuissante. Cette vérité si évidente, M. de Lamartine ne la méconnaît pas, mais il se contente de l’indiquer, tandis qu’il aurait dû s’appliquer, je ne dis pas à la démontrer, car l’évidence ne se démontre pas, mais à la développer. À peine prend-il la peine de caractériser l’état de l’esprit public ; il compte sur la biographie des hommes qui ont traité de la rançon de la France pour expliquer tous les événemens : c’est une confiance que je ne crois pas légitime. C’est la France elle-même qu’il fallait interroger, et sa réponse aurait jeté sur le récit tout entier une lumière éclatante. Par l’élévation de son âme, par la pureté de ses sentimens, M. de Lamartine était digne, entre tous, de la transcrire et de la commenter. À quelque parti qu’on appartienne, il faut s’incliner devant l’évidence : il y a dans la restauration autre chose qu’une trahison. Rapporter à la trahison seule tous les malheurs du pays, c’est vouloir fermer les yeux à la lumière. C’est pourquoi l’historien de la restauration devait insister sur la condition morale du pays ; c’était la partie la plus délicate de sa tâche, la plus difficile peut-être, mais à coup sûr la plus importante.

Et je m’étonne d’autant plus de la négligence, de la rapidité avec laquelle M. de Lamartine a traité cette partie de son sujet, qu’il a senti la nécessité d’invoquer le sentiment de la France pour expliquer la courte durée de la restauration impériale. Le récit des cent jours est à mon avis ce qu’il y a de plus vivant, de plus vrai dans ce livre, d’ailleurs si incohérent et si confus. Si Napoléon est tombé si vite après avoir repris possession de la France, c’est qu’il n’avait pour lui que l’armée, et que l’armée ne pouvait tenir seule contre le pays tout entier. L’auteur a tiré de cette vérité un excellent parti. C’est à elle qu’il a demandé toutes ses inspirations dans le récit des cent jours, et si sa parole ne s’arrête pas toujours à temps dans le tableau des faits, si plus d’une fois l’exubérance des images altère la précision de la pensée, je reconnais volontiers que l’auteur a souvent trouvé des accens pathétiques en nous retraçant les dernières luttes de Napoléon. En nous le montrant aux prises avec la fortune, vaincu par le nombre bien plus que par l’épuisement de son génie militaire, il n’a pas oublié de nous le montrer aux prises avec son pays. Ce n’est que justice, et, placé sur ce terrain, M. de Lamartine