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mais ce n’est point là évidemment la véritable histoire inflexible et sévère, le tableau fidèle de ce temps où tout s’est trouvé un moment confondu. Ce tableau, M. H. Castille a-t-il réussi aujourd’hui à le tracer avec exactitude, comme il le pense, dans son Histoire de la seconde République française ? En réalité, le livre de M. Castille, peu nouveau quant aux faits, ne se distingue que par une certaine vigueur de style et une certaine âpreté de jugement à l’égard de tout le monde ; c’est une déclamation démocratique encore plus qu’une histoire. L’auteur se fait le coloriste de la révolution, il a même des momens d’exaltation lyrique au sujet du drapeau rouge, « dont la couleur contente l’œil, dit-il, comme une fanfare contente l’oreille ; c’est la couleur de la vie. » Ainsi parle M. Castille en ayant l’air de chanter une strophe sur cette sinistre enseigne des plus funestes journées. Du reste, nul n’est plus sévère que M. Castille pour les héros de février ; il les traite presque aussi mal que de simples conservateurs ; il les ensevelit tous dans le même linceul que celui de la république, et il les lance glorieusement dans l’histoire. Maintenant l’avenir, si avenir il y a, est sans doute à la jeunesse démocratique, telle que l’entend l’auteur de l’Histoire de la seconde République française. Or quel est l’idéal de cette jeunesse ? Il serait peut-être difficile de le dire. Ce qu’il y a de certain, c’est que la première parole de cette jeunesse paraît être une véritable mise en accusation de la liberté. M. Castille met très délibérément sur la sellette cette grande coupable qui a ensanglanté la terre. S’il parle de la liberté démocratique, le portrait est vrai sans doute, quoique peu flatteur. Heureusement il y a une autre liberté à laquelle peuvent se dévouer sans crainte les esprits les plus généreux, parce qu’ils ne la séparent pas de toutes les idées de devoir, de toutes les notions morales qui la contiennent et la règlent. Au lieu de déclamer contre cette liberté, mieux vaudrait chercher à s’élever jusqu’à elle, se former à sa pratique, et apprendre comment elle peut devenir durable. M. Castille touche de près, ce nous semble, à ce socialisme qui a de grandes prétentions à l’organisation universelle, et qui absorbe l’individu en supprimant en lui tout sentiment de responsabilité. C’est là le vrai fond du socialisme, et c’est par là surtout qu’il est l’ennemi le plus dangereux de la civilisation humaine.

La liberté n’est point certainement une simple figure dans nos débats politiques contemporains, comme le dit l’auteur ; elle est une réalité. Seulement tous les peuples ne sont pas heureux et ne parviennent pas à se l’approprier. Là où elle existe, elle est le ressort de la grandeur d’une race, en même temps qu’elle donne une originalité, singulière à ses mœurs, à toute son existence. Le caractère de cette liberté, là où elle existe, c’est justement qu’elle n’est point un mot vide, une déclamation, une abstraction inscrite dans un pacte constitutionnel. Elle est partout : avant d’être dans une loi, elle est dans le caractère, dans les mœurs ; elle a sa source dans l’intimité du foyer, et comme elle se concilie avec un sentiment énergique de la responsabilité individuelle, avec le respect de la liberté d’autrui, tout s’agite et marche par un effort commun, sans que l’ordre général soit à chaque instant menacé. Là est la grandeur des États-Unis, là est le principe de leur force. Quelle est l’idée, quelle est la folie qui ne trouve point sa place dans cet immense laboratoire ? Les plus étranges aberrations religieuses s’y produisent chaque jour, mais elles ne