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la satisfaction de me voir pleurer, je le tirai par la manche et lui dis : — Partons.

« — Allons, allons, répondit-il d’un air satisfait. Mon père sortit de la chambre ; mais il rentra bientôt, portant un petit médaillon suspendu à un ruban qu’il me passa au cou, en me disant que c’était avec cette image que son père l’avait béni pour la dernière fois. J’étais ému ; ce don religieux prouvait à quel point l’inquiétude avait bouleversé l’esprit du pauvre vieillard. Je m’étais jeté à genoux au moment où il me le mettait au cou ; il me releva, me pressa dans ses bras et me bénit. Le médaillon représentait la tête de saint Jean-Baptiste couchée sur un plat d’argent. Était-ce un exemple, un conseil ou une prophétie ? J’avoue que le sujet de cette image fit alors une assez vive impression sur moi. Ma mère était presque sans connaissance. Toute la maison me suivit sur l’escalier ; ces braves gens fondaient en larmes, me baisaient les mains, m’embrassaient. J’assistais vivant aux scènes qui se seraient passées, si on m’avait enlevé de la maison pour me rendre les derniers devoirs ; le maître de police paraissait mécontent et pressait mon départ.

« Lorsque nous lûmes hors de la cour, il réunit le détachement, qui se composait de quatre kosaks, de deux officiers de quartier et de deux soldats de police. — Permettez-moi de retourner à la maison, dit au maître de police un homme à barbe qui était assis près de la porte. — Soit, répondit Miller. — Quel est cet homme ? lui demandai-je. — C’est le dobrosovestneï[1], me dit-il. Vous savez bien que la police ne peut entrer dans une maison sans être accompagnée d’un de ces hommes. — Pourquoi donc est-il resté à la porte ? — C’est une formalité insignifiante, répliqua Miller ; on aurait mieux fait de le laisser tranquillement dans son lit. — Nous partîmes suivis de deux kosaks à cheval. Au quartier, on ne put me donner une chambre séparée. Le maître de police me fit placer pour le reste de la nuit dans les bureaux ; lui-même m’y conduisit, il se jeta dans un fauteuil, et me dit en bâillant : — Maudit service ! à trois heures j’ai dû me rendre aux courses, et puis voilà votre affaire qui m’a pris tout mon temps jusqu’au petit jour. Je suis sûr qu’il est près de quatre heures, et à neuf heures il faut que j’aille au rapport.

« Adieu, me dit-il quelques instans après, et il sortit. Un sous-officier de police ferma la porte à clé et m’invita à y frapper, si j’avais besoin de quelque chose. J’ouvris la fenêtre, le jour commençait à poindre ; déjà la fraîcheur du matin se faisait sentir. Je demandai de l’eau au sous-officier et en bus toute une carafe ; je ne songeai seulement pas à dormir. Il m’aurait été d’ailleurs impossible de me coucher ;

  1. Délégués élus par chaque corps d’état et chargés d’assister à toutes les opérations de la police.