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qui résonnait dans le corridor, ou la vue de l’officier de service qui entr’ouvrait la porte et que j’apercevais à la lueur d’une lanterne portée par un soldat, ou encore le cri de qui va là ? que les factionnaires avaient la barbarie de pousser dans la cour, souvent aussi le son retentissant de la trompette qui sonnait le réveil, me rappelaient à la réalité.

« Dans les momens d’ennui et lorsque j’étais las de mes livres, je me mettais à causer avec les gendarmes préposés à la surveillance des prisonniers. Celaient en général de vieux soldats auxquels on accordait la faveur de ne point figurer dans les rangs. Ils remplissaient leurs paisibles fonctions sous la surveillance d’un fourrier ; celui-ci était pour sa part un espion et un coquin fieffé. Cinq ou six gendarmes suffisaient au service. Le vieux soldat qui me gardait était un homme simple, bon, sensible aux moindres marques d’intérêt qu’on lui donnait, probablement parce qu’on ne lui en avait guère prodigué dans le cours de sa carrière. Après avoir fait la campagne de 1812, comme l’attestaient les nombreuses médailles qui couvraient sa poitrine, il avait achevé son temps de service ; mais, ne sachant que devenir, il s’était décidé à rester soldat. — J’avais écrit deux fois, me dit-il, dans le gouvernement de Mohilef, où je suis né, sans recevoir de réponse ; il paraît que tous mes parens sont morts, et alors quelle figure aurais-je faite là-bas ? C’est triste ; impossible de rester au village ; il faut s’en aller tendre la main comme un homme abandonné du ciel ! — Telles sont, soit dit en passant, les conséquences barbares qu’entraîne en Russie la durée exceptionnelle du service militaire. La personnalité humaine y est toujours impitoyablement sacrifiée, le dévouement le plus absolu n’y obtient pas la moindre récompense.

« Mon vieux gardien, Philimone, avait la prétention de connaître l’allemand, langue avec laquelle il s’était un peu familiarisé en effet dans ses quartiers d’hiver après la prise de Paris ; mais toutes ses connaissances en ce genre se bornaient à exprimer assez bizarrement, avec les sons de l’alphabet russe, quelques mots allemands. La plupart des récits qu’il me faisait étaient d’une naïveté qui m’inspirait souvent de tristes réflexions : je me bornerai à citer l’histoire suivante qu’il me conta un jour. Pendant la campagne que l’armée russe fit en Moldavie en 1815, il servait dans une compagnie dont le capitaine avait su mériter l’attachement de ses soldats par les soins qu’il leur prodiguait et le courage dont il faisait preuve en présence de l’ennemi. — Mais une Moldave l’ensorcela, me dit mon gardien, et voilà notre commandant qui devient soucieux ; savez-vous pourquoi ? C’est qu’il avait remarqué que la Moldave faisait des visites à un autre officier. Un jour que je causais avec un camarade, un fameux soldat qui a eu plus tard les deux jambes emportées sous les murs de Malolaroslavèts,