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Aussi cette fête a-t-elle un caractère tout à fait païen. Pendant que les Votiaks se tiennent aux portes du couvent, les Russes y apportent en offrande des moutons et des veaux qu’ils égorgent. Un moine lit des prières et bénit ces animaux, dont la viande est ensuite distribuée au peuple par morceaux. Autrefois cette distribution était gratuite, maintenant les moines exigent une légère rétribution, et le paysan qui vient d’offrir une pièce de bétail aux saints pères est obligé de racheter en détail ce qu’il a donné. La cour du monastère est pleine de mendians perclus qui chantent en chœur les paroles de Lazare. Des enfans, fils de prêtres pour la plupart, sont assis sur les tombes près de l’église ; ils tiennent des plumes à la main et crient aux passans : « Qui veut qu’on lui écrive des pamietzi[1] ? » Les femmes et les filles s’arrêtent, disent les noms de leurs parens, et débattent ensuite vivement avec les petits scribes le prix de cet office. C’est surtout dans l’église que la foule est grande ; des femmes de tout âge se pressent autour des moines qui distribuent des cierges, et les font allumer en l’honneur de leurs parens ou connaissances. Ces recommandations sont quelquefois assez bizarres ; c’est pour un maître ou pour un hôte que beaucoup de ces pénitentes viennent adresser leurs prières. Les prêtres et les moines de Viatka sont presque constamment ivres durant toute la cérémonie ; dans tous les villages qu’ils traversent, les paysans les arrêtent et les forcent à boire.

« Le gouverneur eut la singulière idée de retarder la célébration de cette fête, afin d’en faire jouir l’héritier qui devait arriver le 25 mai ; mais il ne pouvait le faire sans le consentement de l’archevêque : celui-ci, qui était heureusement un homme fort accommodant, n’y trouva point à redire. Lorsqu’il eut pris toutes ses dispositions pour l’arrivée du prince, Tioulaïef, très fier de ce beau programme, l’envoya à l’empereur, à peine l’empereur y eut-il jeté les yeux, qu’il s’écria avec colère, en s’adressant au ministre de l’intérieur : — Le gouverneur et l’archevêque sont des imbéciles ; qu’on célèbre la fête à l’époque ordinaire ! — Le ministre lava la tête au gouverneur, le synode, de son côté, tança l’archevêque, et la fête eut lieu comme de coutume. »

Le jeune prince fit enfin son entrée à Viatka ; mais le froid salut qu’il adressa au gouverneur fit pressentir à celui-ci que certains actes de son administration avaient été révélés au gouvernement impérial. Une veuve avait eu récemment à se plaindre de vexations assez graves, et un riche marchand qui avait embrassé sa cause avait été arrêté comme fou. Le prince avait eu connaissance de ces faits, Tioufaïef se sentait perdu. Cependant une exposition de l’industrie sibérienne

  1. Liste des parens morts qu’on lit pendant l’office.