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Lycophron ; mais le chef-d’œuvre de ce genre érudit et obscur, c’est la Cassandre de ce poète de ténébreuse mémoire. Je trouve une preuve de cette érudition indiscrète aussitôt après le morceau que nous venons de traduire :


« Pieuse folie, qui rend les jardins des cimetières placés hors des villes si chers aux jeunes filles anglaises ; là elles sont conduites par l’amour d’une mère qu’elles ont perdue ; là furent implorés les génies pour le retour des cendres du héros qui coupa le grand mât du navire vaincu, et se creusa lui-même un cercueil. »


Ce héros, c’est Nelson, qui nous prit en Égypte le vaisseau de premier ordre l’Orient, en coupa le grand mât, et du tronçon se fit un cercueil qu’il portait toujours avec lui. Je pourrais multiplier les exemples : un seul suffit pour indiquer la tendance de cette poésie érudite ; insister davantage donnerait peut-être une fausse idée de cette pièce, qui, après tout, est fort belle. Il y a dans la pensée générale une mélancolie sans apprêt, une tristesse qui n’est pas jouée. La tombe était toujours présente à la pensée de Foscolo. Il invoque souvent la mort dans ses lettres ; comme la jeune Laurette de son Jacques Ortis entourait un crâne de roses entrelacées, de même Foscolo couronnait l’image de la mort de douces images. Cette pièce sera toujours lue tant qu’il y aura une histoire de la poésie italienne. Elle n’est pas un chef-d’œuvre comme l’Élégie écrite dans un cimetière de campagne, ni dans des proportions plus étroites encore, comme la Chute des Feuilles ; mais parmi les monumens de la poésie élégiaque moderne, elle ne le cède guère qu’aux deux célèbres pièces de Thomas Gray et de Millevoye. Les Tombeaux ne sont pourtant pas une simple élégie ; c’est aussi une satire et un poème lyrique : l’auteur lui donne le nom de carme, et nous voyons par une lettre qu’il croyait avoir inventé un nouveau genre. Le ton satirique et l’ironie n’abandonnent presque jamais Parini, son maître ; Foscolo continue donc à lui ressembler, même quand il aspire le plus à l’originalité. Quelle idée se faisait-il de ces compositions qu’il appelait par excellence de ce beau nom antique de carmi, poèmes ? Un seul essai ne suffit pas pour répondre à cette question.

Le roman de Jacques Ortis avait gagné les cœurs des jeunes gens à ce Vénitien qui trouvait des couleurs si ardentes pour exprimer l’amour et le patriotisme. Le peu de poésies qu’il publiait augmentaient encore sa popularité ; son nom avait d’ailleurs retenti dans toutes les parties de l’Italie par quelques journaux où il prenait part ; l’habit même qu’il portait attirait sur lui l’intérêt du public : un officier homme de lettres était un personnage presque nouveau dans un pays où la littérature semblait condamnée au silence d’un cloître ou