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l’abri des petites passions de l’homme de lettres, petites partout, mais principalement en Italie. Foscolo était fort contre les grands coups ; il ne l’était pas contre les coups d’épingle. Il savait renoncer à la fortune, à sa patrie, à sa famille ; il ne savait pas prendre son parti d’un mauvais propos. Est-ce que les grands caractères de l’antiquité avaient une grandeur plus égale et plus entière que ceux des temps modernes ? Est-ce que l’histoire, traçant leur portrait, a caché les petits défauts du visage, et ne doivent-ils leur admirable perfection qu’à l’infidélité relative de leurs biographes ? Il nous semble qu’un des grands hommes de Plutarque n’aurait pas compromis sa gloire dans des querelles d’homme de lettres et dans des conflits de jalousie ou de vanité. Quand on a le courage de renoncer aux faveurs, on devrait avoir celui de ne pas envier les hommes qui les possèdent. Je vois avec peine Foscolo écrivant des personnalités contre les écrivains pensionnés ou titrés, faisant un article de journal pour déprécier un ami qu’il avait porté jusqu’aux nues, changeant de goût et de jugement sur les hommes, parce qu’ils ne pensaient pas comme lui. Il m’ôte en partie le plaisir de l’admirer, il me gâte son départ héroïque pour l’exil, lorsqu’à peine retiré en Suisse, il jette l’injure à ses ennemis, ennemis purement littéraires, sous le voile transparent d’une allégorie en action, portant pour titre : Didymi clerici prophetoe minimi hypercalypsis. Il ajoutait même une clé à son hypercalypse, de peur qu’il ne manquât quelque chose à la clarté de l’allusion ; mais je ne veux pas m’arrêter sur ces misères. Si le pauvre exilé avait des torts, ceux qui restaient dans leur pays, dans leurs académies et dans leurs places, n’en avaient pas de moindres :

Iliacos intra muros peccatur et extra.

La postérité n’entre pas dans les petites querelles ; elle ne voit que les résultats. Quel que soit le point de vue duquel on juge Foscolo, on pourra faire la part de la vanité ; mais l’honneur de ses souffrances lui reste, et un beau sacrifice accompli rachète toutes les petites fautes. Telle est du moins notre impression personnelle après la lecture attentive de ses écrits. S’il excède la mesure ordinaire des hommes de lettres ses contemporains et ses compatriotes, ce n’est pas par la grandeur stoïque et inaltérable du caractère, ce n’est pas non plus par les passions gigantesques, fausse grandeur que le public admire beaucoup aujourd’hui, mais qui se trouve dans les romans plutôt que dans la réalité ; c’est par une hauteur d’âme qui, parmi beaucoup de faiblesses et d’inégalités, le rendit capable de nobles résolutions et de vertus antiques.

Foscolo était prédestiné pour l’exil ; le traité de Campo-Formio