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fer de la dépréciation qui atteignait toutes les valeurs. Les lignes exploitées ou en construction, qui représentaient en 1853 un capital d’environ 1,500 millions, figuraient, à la fin de mars 1854, sur les cotes de la bourse, pour 350 millions de moins. Les détenteurs de ces actions, qui s’étaient vus dans la nécessité de les vendre, avaient perdu 23 pour 100 de leur capital.

À la même époque, les rentes 4 1/2 pour 100 étaient dépréciées de 16 pour 100 ; en y ajoutant la baisse du 3 pour 100, on trouvait une diminution de capital d’environ 900 millions. Il y a bien encore la perte essuyée sur les obligations des chemins de fer, que l’on ne saurait évaluer a moins de 50 millions, et la dépréciation des actions des établissemens de crédit, tels que la Banque de France, le crédit foncier et le crédit mobilier, qui s’est élevée à une somme à peu près égale. La perte qui a frappé le marché des valeurs mobilières a donc été au total de 13 à 1,400 millions. En 1848, elle avait été de 50 pour 100 ou de 3 milliards et demi sur les rentes seules.

Le malaise qui agitait le pays se reconnaissait encore à d’autres symptômes. Ainsi l’argent abondait sur le marché ; il se livrait à bas prix dans les placemens temporaires, mais ne s’aventurait dans les placemens sérieux qu’attiré par l’appât d’un profit exorbitant. On pouvait acheter les yeux fermés les actions des meilleures lignes de chemins de fer sur le pied de 7 à 8 pour 100, et malgré de tels avantages ; les capitalistes n’accouraient pas. Chacun spéculait sur les perspectives de l’imprévu, et préférait en attendant, soit garder ses écus immobiles, soit prendre du papier à courte échéance, ou faire le commerce peu productif des placemens sur report. Quiconque avait besoin d’emprunter, en dépit des meilleures garanties, devait s’attendre à être égorgé. Les banques s’empressaient à l’envi d’élever le taux de leurs prêts et de leurs escomptes. Les propriétaires ne trouvaient plus que dans les bureaux du crédit foncier de l’argent à 5 pour 100. Le trésor lui-même, quelques mois avant l’emprunt, avait porté à 5 1/2 pour 100 l’intérêt de ses bons à longue échéance. Parmi les compagnies de chemins de fer, celles qui avaient ouvert des emprunts à un taux qui aurait six mois plus tôt déterminé des souscriptions en masse se voyaient délaissées par le public. Une seule réussit, mais en servant un intérêt qui, avec la prime au remboursement, représentait plus de 6 pour 100 du capital prêté ; il est vrai que cette compagnie n’avait admis à la souscription que ses actionnaires. D’autres administrations, plus prudentes ou mieux pourvues de ressources, ajournaient à des circonstances plus favorables tout appel au crédit.

Les mêmes phénomènes se sont manifestés avec encore plus d’intensité sur le continent européen. Ainsi le 5 pour 100 belge est tombé à 90, celui de Naples à 88, celui de Rome à 80, celui de Piémont