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Anglais pour arriver aux charges et aux richesses, il arriva un temps où des étrangers dépossédèrent les Normands eux-mêmes. Les Angevins, les poitevins, les Provençaux, les Italiens, vinrent disputer les faveurs des rois qui tenaient à leur pays soit par leur propre naissance, soit par leurs mères, soit par leurs femmes, soit par leur éducation. Bientôt tout fut pour eux, et de même que les Normands, étant plus spirituels que les Saxons, les tenaient aisément à l’écart, il se trouva que les hommes du midi de la France, plus spirituels que les Normands, les dépouillèrent à leur tour. Dès lors on vit Normands et Saxons se rapprocher pour la première fois : il se trouva pour la première fois qu’ils avaient une aversion, une haine commune. Avoir un ennemi commun, telle est l’origine des alliances, telle est aussi celle des nationalités. Jean-sans-Terre donna le premier l’exemple d’employer les Saxons, c’est-à-dire la multitude, contre son frère Richard Cœur-de-Lion. Les barons normands l’employèrent à leur tour contre Jean-sans-Terre et ses favoris étrangers. On fit venir un prince de France, le fils de Philippe-Auguste, pour détrôner en son nom un roi qui ne s’entourait que de gens venus d’Angers, de Poitiers, de Bordeaux. Puis ce prince français, amenant à sa suite des gentilshommes, des chevaliers, des évêques français, fut chassé à son tour au nom de Henri III, fils de Jean-sans-Terre. Que fit Henri III, monté sur le trône ? Ce qu’avaient fait tous ses devanciers. Il appela autour de lui des gens du pays de sa femme, des Provençaux, et, par une suite naturelle, des Savoyards et des Italiens. De son côté, son frère Richard, nommé empereur pendant le grand interrègne, s’entourait d’Allemands. Cette fois, l’Angleterre fut le théâtre d’une insurrection, la plus formidable et la plus acharnée qu’elle eût jamais vue. Tout ce qui possédait quelque chose, au moins la liberté personnelle, prit part à cette lutte contre le roi et surtout contre ses adhérens. Les barons, hardis parce qu’ils sentaient que leur cause était populaire, mirent à leur tête le plus hardi d’entre eux, Simon de Montfort, comte de Leicester, le fils de celui qui avait gagné en France, dans la guerre des Albigeois, une si grande célébrité. C’était aussi une croisade que commandait le fils, mais une croisade vraiment anglaise, toute politique, croisade des intérêts nationaux contre les étrangers.

L’armée de Simon de Montfort comptait des hommes de tous les rangs, ayant en tête une grande partie de la nation, car nous savons que la ville de Londres tout entière se prononça pour le chef de l’insurrection. Henri III fut à deux doigts de sa ruine. Simon de Montfort remporta une victoire éclatante à Lewes (1264). Il fit prisonnier le prince de Galles. Le roi était perdu, si tous les barons avaient été d’accord; mais il y a apparence que cette alliance avec la multitude ne plaisait pas à tous. Simon de Montfort, plus libéral ou plus politique, ne craignait pas d’aller au-delà de la grande charte; il avait convoqué un parlement, où les bourgeois des villes envoyaient des députés. Le comte de Glocester, peu partisan sans doute de ces droits accordés à la multitude saxonne, rendit à Henri III son fils Edouard, et lui fournit les moyens de battre l’armée des barons. La bataille d’Evesham (1265) fut une nouvelle bataille d’Hastings. Vaincu par le roi, Simon de Montfort, comme un nouvel Harold, fut sanctifié par l’enthousiasme populaire. Le royaume fut déchiré de nouveau par des luttes partielles : des outlaws de