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plumes de paon; il tient à la main un grand arc. Son visage est hâlé par les intempéries du ciel, il ne porte pas d’armoiries au bras comme le yeoman de Chaucer, car il ne s’appartient qu’à lui-même; mais, comme lui, il est armé d’une grande épée et d’un petit bouclier qu’il porte à gauche, et sa droite est munie d’une bonne dague aussi pointue qu’un fer de lance. Porte-t-il un saint Christophe d’argent sur la poitrine, ainsi que le commun des yeomen ? S’il porte quelque insigne religieux, ce doit être plutôt l’effigie de la sainte Vierge. Ajoutez à ce costume un cor dont il fait retentir les bois, et vous vous ferez une assez juste image de Robin Hood.

« Robin Hood était un honnête homme entre tous dans le pays; chaque jour, avant de dîner, il entendait trois messes,

« L’une en l’honneur du Père, l’autre du Saint-Esprit; la troisième était pour Notre-Dame, qu’il aimait plus que tout.

« Robin aimait Notre-Dame par haine du péché mortel; il n’eût jamais fait de mal à une compagnie où une femme se serait trouvée. »

Mais pour aimer à entendre la messe et pour être fort dévoué au culte de la Vierge, Robin Hood n’en est pas moins brouillé avec les moines. Un jour qu’il s’était rendu à Nottingham, pour assister au saint sacrifice, il est reconnu par un moine qui le trahit. Le héros aurait péri misérablement, si ses braves archers n’avaient sauvé leur chef et tiré vengeance de la trahison. Je ne sais si Robin Hood avait réellement cette haine pour les moines; mais qu’importe ? Ce personnage est devenu le type populaire, et les poètes lui prêtent les passions du peuple. Le XIVe siècle vit la naissance de l’hérésie en Angleterre; les lollards s’y répandaient peu à peu; ils s’assemblaient dans des solitudes, et formaient des sociétés secrètes où l’on prêchait contre les frères venus de Rome, et l’on chantait : « Autour de Jésus, il n’y avait ni évêques ni cardinaux. » Il n’en faut pas douter, Robin Hood aurait moins plu, s’il n’avait été l’ennemi des gens d’église. Le peuple d’Angleterre était secrètement prédestiné au schisme et à l’hérésie. Avant la réforme, il était à demi protestant.

Robin Hood ne dîne que lorsqu’il a trouvé quelque fier baron, quelque évêque ou archevêque pour faire les frais du repas; mais il épargne le peuple, il aime les archers et même les chevaliers ou écuyers qui sont bons et honnêtes. Quand c’est un chevalier qui se présente, il commence par lui offrir une chère de prince; il le fait asseoir à sa table sous la verte feuillée, devant des nombres de daim, des cygnes, des faisans, des oiseaux d’étang, toute espèce de gibier. Tel est le menu d’un outlaw. Mais arrive le quart d’heure de Rabelais : il n’est pas juste qu’un yeoman paie pour un chevalier; Robin demande de l’argent. Si le chevalier est riche, il s’en retourne satisfait sans doute de son repas, mais un peu moins content d’avoir vidé sa bourse; s’il est pauvre, Robin Hood a pitié de sa misère; si même il est ruiné, s’il est lié par des engagemens trop pesans pour lui, surtout si son domaine est entre les mains d’un abbé qui lui a prêté de l’argent, Robin Hood est généreux; il lui fait des avances. Un yeoman qui se nourrit de faisans et de cygnes a toujours quelques centaines de livres sterling à prêter à un chevalier qui est dans la gêne. Ce n’est pas tout : si l’équipage du chevalier laisse à désirer, Robin Hood est capable de lui donner de beaux habits, un cheval, un page