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hommes des différentes sectes. Ne vous figurez point que vous ayez le privilège exclusif de la vérité et de la bonté. Ne considérez jamais l’église du Christ comme renfermée dans les limites d’une invention humaine, mais comme comprenant toutes les sectes. Honneur à tous les hommes! En même temps, respect à vous-mêmes. Ne souffrez jamais que vos opinions soient traitées avec mépris; mais puisque vous ne les imposez à personne, laissez voir que vous les révérez comme la vérité, et que vous attendez le respect et la courtoisie de ceux qui conversent avec vous sur ce point. Placez-vous toujours sur un pied d’égalité vis-à-vis de chaque secte ou parti, et n’enhardissez personne, par votre timidité, à prendre envers vous un ton de dictature, de supériorité ou de mépris. »

Une conséquence singulière de cette largeur indéfinie, de cette exclusion de toute exclusion, fut de le rendre particulièrement tolérant pour la plus intolérante de toutes les sociétés religieuses. Il vit autour de lui le catholicisme calomnié, à demi persécuté, il l’aima, La vive sympathie qu’il conçut pour les écrits de Fénelon, l’influence des beaux souvenirs que Cheverus avait laissés aux États-Unis, et surtout l’avantage qu’avait à ses yeux le catholicisme de n’être pas officiel autour de lui, déterminèrent ses pensées en ce sens. Il crut à l’avenir des tentatives du catholicisme en Angleterre, et en particulier du mouvement d’Oxford, parce qu’il y vit une réaction de la conscience individuelle contre l’église établie. Il s’indigne contre les théologiens qui s’alarment des progrès du catholicisme, et se croient eux-mêmes aussi infaillibles que le pape. « Ne sentent-ils pas, dit-il, que si les hommes doivent choisir entre deux infaillibilités, ils choisiront le pape comme la plus ancienne et celle qui est soutenue par le plus grand nombre de voix ? Ce système n’a pu durer si longtemps ni s’étendre si loin sans avoir quelque fondement profond dans notre nature. Les idées et les mots d’église et d’antiquité ont un charme puissant. Les hommes, dans leur faiblesse, leur ignorance et leur paresse, aiment l’abri où ils trouvent une vaste organisation que le temps a consacrée. Que nous devenons forts et fiers quand nous sommes soutenus par la foule, par un grand nom et par l’autorité des âges! Il n’est pas étonnant que l’église romaine revive en ce moment, quand une crainte maladive des innovations réagit contre l’esprit de réforme et entraîne les hommes vers le passé. Ce mouvement d’Oxford a beaucoup de chances de s’étendre, parce qu’il semble être moins l’œuvre de la police ou de l’ambition du clergé que d’un fanatisme réel. »

Tel fut Channing durant quarante ans dans sa chaire de Federal-Street. Possédé par l’idée exclusive du bien, il vit peu de chose en dehors de ce but suprême. Il visita l’Europe, ne la comprit pas et ne