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Guy; il n’y avait pas un homme né d’une femme qui pût deviner de qui c’était la tête. »

Puis il s’habille des vêtemens de son ennemi et va se présenter au shériff comme étant Guy de Gisborne lui-même apportant la tête de Robin Hood. Ce trait passablement cruel, et qui est unique dans le cycle de Robin Hood, réveille plus d’un souvenir de l’histoire de la vieille Angleterre. On ne peut s’empêcher de songer à ces proscrits qu’on définissait de véritables loups, dont on apportait la tête pour recevoir la récompense : A tempore que utlagatus est (outlawed) caput gerit lupinum, dit un auteur du temps de Richard Ier, cité par Ritson; « du moment qu’il est déclaré outlaw, sa tête est celle d’un loup. » Ne semble-t-il pas même qu’on retrouve ici je ne sais quel souvenir confus de la loi d’anglaiserie ? Quand les barons normands chassaient dans les forêts, souvent une flèche inconnue venait leur donner la mort; il y eut même des princes qui périrent ainsi, frappés par un ennemi qu’on n’apercevait jamais. Comme le meurtrier caché dans les bois échappait toujours, et d’ailleurs était protégé dans sa fuite par la population saxonne, on levait une amende sur le canton où l’on trouvait le corps d’un Normand assassiné. Au lieu de livrer le coupable, les populations payaient ou bien mutilaient le corps, de manière qu’on ne pût reconnaître s’il était normand ou anglais. Si cette mutilation de la tête de Guy de Gisborne était une vague réminiscence de celles qu’on faisait réellement pour échapper à la loi normande, ne serait-ce pas un curieux exemple de l’altération poétique des traditions ?

Robin Hood et le Potier, ballade fort ancienne, puisqu’on la fait remonter quelquefois jusqu’au XIVe siècle, commence une nouvelle veine dans le cycle du franc-archer. Robin, ayant imaginé un piège qu’il veut tendre au shériff, arrête sur la route un potier qui menait à Nottingham sa charrette remplie de sa marchandise. Robin est battu. Il a recours aux moyens de douceur obtient du potier qu’il lui cède sa charrette et sa marchandise, et se rend à Nottingham. Là il se défait bien vite de son chargement, vendant trois pence ce qui en valait cinq. « Hommes et femmes disaient tout bas : Ce potier ne fera jamais ses affaires. » Mais Robin ne songe pas à réussir dans le commerce : c’est au shériff qu’il en veut. Il fait présent à la femme du shériff des pots qui lui restent; cette gracieuseté la gagne à Robin Hood, qui est invité à dîner. Après le dîner, le tir de l’arc et les paris; on cause de Robin Hood. Le faux potier promet au shériff de lui montrer Robin Hood; il l’emmène à la forêt, le rançonne, et le renvoie avec un présent pour sa femme.

« Tu es venu à cheval, et tu t’en retourneras à pied. Salue bien ta femme de ma part; c’est une excellente personne.

« Je lui enverrai un blanc palefroi, qui marche à l’amble aussi vite que le vent; pour l’amour de votre femme, je ne vous ferai pas plus de chagrin. »

Ce petit récit est naïf et piquant, mais la poésie en est un peu vulgaire et subalterne. C’est le premier type des aventures grotesques et triviales de Robin Hood. Le belliqueux outlaw est battu par un potier; il ne fait plus au shériff qu’une guerre de ruses ; il ne songe plus à le tuer, mais à le dévaliser. Autre changement fort grave : il flatte la femme du shériff, il lui fait des cadeaux, et la met de son parti. Ce n’est plus ce Robin Hood si dévot à la