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celui qui aspire le plus avidement au bonheur est toujours le plus misérable. — Ah ! (s’écrie alors le disciple) s’il faut se refuser à tout, que nous a donc servi de naître ? et s’il faut mépriser le bonheur même, qui est-ce qui sait être heureux ? — C’est moi, répondit un jour le prêtre d’un ton dont je fus frappé. — Heureux, vous, si peu fortuné, si pauvre ! Exilé, persécuté, vous êtes heureux ! et qu’avez-vous fait pour l’être ? — Mon enfant, reprit-il, je vous le dirai volontiers. »

La profession de foi est la révélation de ce grand secret du bon prêtre. Pauvre et persécuté, il s’est fait une âme qui croit en Dieu et en sa propre immortalité ; voilà d’où lui vient son bonheur. Ajoutez-y la pratique des devoirs du prêtre qu’il remplit avec un zèle scrupuleux. Il ne faut pas seulement en effet que l’âme soit convaincue, il faut aussi que la vie soit occupée aux choses même dont l’âme est pénétrée. Cette harmonie fait le bonheur du vicaire. Il a douté, il a vacillé, mais enfin il a ressaisi d’une main ferme la foi en Dieu et en l’immortalité de l’âme[1], de douteur devenu croyant, de croyant devenu pieux, mais croyant et pieux à sa manière.

Le vicaire savoyard n’est pas le seul prêtre que nous connaissions, éprouvé par le doute et par le malheur, revenu à Dieu et à la religion, et qui trouve dans l’humble exercice de ses pieuses fonctions la seule paix et le seul bonheur que puissent goûter les âmes troublées. Le Jocelyn de M. de Lamartine est de la famille du vicaire savoyard. Comme le vicaire, il a souffert, il a douté, il a aimé, il a été aimé, il a vu le monde et ses orages, et après cette vie de trouble et de passion, revenu à Dieu et à l’église, il cherche la paix dans l’accomplissement de ses fonctions, il l’y trouve :

Et j’instruis les enfans du village, et les heures
Que je passe avec eux sont pour moi les meilleures
Je me dis que je vais donner à leur esprit
L’immortel aliment dont l’ange se nourrit,
La vérité, de l’homme incomplet héritage,
Qui descend jusqu’à nous de nuage en nuage.
Flambeau d’un jour plus pur….[2].

Remarquons-le bien, ce qui fait la paix de Jocelyn et du vicaire savoyard, ce n’est pas seulement la résignation de leur âme, c’est leur vie occupée au bien, c’est l’exercice de la charité pastorale, les malades consolés, les enfans enseignés, Dieu invoqué dans le sacrifice de la messe avec une foi tremblante encore des atteintes du doute. Les grandes idées qu’ils ont retrouvées les élèvent ; mais leurs

  1. Livre IV, p. 156.
  2. Jocelyn, IXe époque.