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temps la préparation de l’homme à la vie qui lui est réservée au sein même de Dieu. Ce sont là, je l’avoue de grand cœur, les lieux-communs éternels de la morale et de la religion. Rien d’inventé en effet, rien d’étrange et de merveilleux, rien qui prétende être une révélation dans cette première partie de la profession de foi ; mais c’est pour cela même que je l’estime et que je l’admire. Ces lieux-communs que Rousseau a mieux aimé recueillir de la bouche de tous les siècles que de les remplacer par je ne sais quel Alcoran vaniteux sorti de son cerveau, comme ont fait depuis tant de révélateurs de club ou d’école, ces lieux-communs n’ont pas seulement pour eux le témoignage de tous les temps et de tous les lieux ; ils ont à mes yeux une sanction plus sainte encore. Ils viennent consoler l’humanité, toutes les fois que l’humanité se sent abattue et désespérée. Ils ne sont pas seulement le refuge des justes qui sont persécutés sur la terre : il y a des siècles malheureux où le mal semble triompher insolemment du bien, où la conscience du genre humain se trouble et se déconcerte, où la liberté veut dire l’anarchie, où l’ordre veut dire la tyrannie, où la religion veut dire l’hypocrisie, où la sagesse et la philosophie veulent dire l’impiété ; c’est dans ces heures de confusion et d’abâtardissement moral que ces grands et secourables lieux-communs arrivent pour rendre à l’humanité l’espoir et le courage dont l’homme a besoin pour supporter les tristesses et les dégoûts de la vie. Non que ces lieux-communs soient jamais absens de ce monde, ils vivent toujours au fond de l’âme humaine dont ils font la force ; mais quand ils se sentent attaqués et la conscience humaine atteinte avec eux, alors ils s’animent, se redressent, prennent une allure et un accent nouveaux, et disent non plus seulement aux individus, mais aux nations, de laisser passer comme de fugitives images du mal ces triomphes du crime, de ne point s’en soucier plus que de l’orage ou de la maladie d’hier, et de ne désespérer ni de Dieu ni de la vertu.

Voyez ! voici Athènes qui, après la guerre du Péloponèse, semble s’affaisser sous le poids de la corruption et de l’anarchie ; les dieux s’en vont bafoués par Alcibiade et surpassés par Socrate : que va devenir l’âme humaine ? où prend ra-t-elle sa force ? Le Phédon arrive et donne à cette âme troublée l’immortalité pour se raffermir. Lieu-commun ! oui, ou assistance divine ! Rome maîtresse du monde succombe sous ses vices : que vont devenir tous ces généreux esprits qui respiraient l’air de la liberté ? N’y a-t-il plus pour l’homme que la servitude et le plaisir ? Non : en attendant la divine régénération de l’Évangile, voici venir Cicéron qui tombe orateur et se relève philosophe pour léguer à Rome le Songe de Scipion et qui place l’immortalité de l’âme humaine sous la recommandation de cette autre