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« Je ne vous ai rien dit jusqu’ici que je ne crusse pouvoir vous être utile et dont je ne fusse entièrement persuadé, dit le vicaire ; l’examen qui me reste à faire est bien différent : je n’y vois qu’embarras, mystère, obscurité ; je n’y porte qu’incertitude et défiance, je ne me détermine qu’en tremblant, et je vous dis plutôt mes doutes que mon avis. Si vos sentimens étaient plus stables, j’hésiterais de vous exposer les miens ; mais dans l’état où vous êtes, vous gagnerez à penser comme moi[1]. » Incertitude et défiance, voilà donc ce que le vicaire nous promet. Il n’est pas difficile de trouver des doctrines plus assurées ; mais le vicaire s’inquiète de sa croyance plus que de sa logique. Les intolérans de l’incrédulité et les intolérans de la religion attaqueront cette réserve. Ceux qui se souviennent de la parole de Jésus-Christ : Sunt plurimœ mansiones in domo patris mei, et qui croient que, même dans le sein du christianisme il y a plusieurs de- grés dans la croyance, sinon dans le dogme, mais qu’il n’y en doit point avoir dans la sincérité, ceux-là me pardonneront de savoir gré au vicaire des pas qu’il fait vers le christianisme. Ces pas sont encore incertains et même défians, comme il le dit ; qu’importe ? Je ne sais rien au monde de plus touchant que cet acheminement à la fois volontaire et involontaire d’une âme vers la foi.

Je commence d’abord par rejeter une idée de Rousseau qui gâte l’intérêt qu’inspire l’état de cette âme inquiète et pieuse qui n’exagère ni ses doutes ni ses croyances. Rousseau prétend que, le culte n’étant qu’une affaire de police, on peut pratiquer celui qu’impose l’état, sans qu’on soit pour cela obligé de croire ce qu’exprime le culte public : doctrine détestable, qui ôte à la conscience humaine sa dignité, c’est-à-dire sa sincérité, et qui autorise l’hypocrisie, sous prétexte d’obéissance aux lois[2] ! Si le vicaire, au lieu de l’homme sincère et pieux que je veux écouter, n’est plus qu’un indifférent qui prend des mains de la loi le culte qu’il plaît à la loi de décréter, qu’ai-je affaire de sa profession de foi ? Et que m’importe l’expression d’une pensée toujours prête à se déguiser et à se cacher ? J’admire le martyr qui proclame sa foi au milieu des tourmens, et une foi ainsi attestée est pour moi la vérité ; mais comment croire à la vérité d’une croyance qui n’a pas le sceau de la sincérité ? Qu’est-ce que cette conscience qui met ses scrupules à chicaner avec Dieu sur le dogme et qui consent à tout avec les hommes sur la forme du dogme ? Le sentiment religieux est celui qui engage le plus la conscience de l’homme, et où la sincérité par conséquent semble d’obligation étroite. Si je ne suis pas sincère en ma foi, où le serai-je ?

  1. Émile, livre IV.
  2. Nous retrouverons cette doctrine dans le Contrat social. C’est là que Rousseau la développe à loisir, et c’est là que nous l’examinerons.