Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/1257

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

magique, et produit les effets les plus compliqués, les plus étonnans. Peut-être le hautbois de M. Paggi est-il plus approprié au talent d’un virtuose qui exécute des solos qu’il ne serait utile dans un orchestre, dont il troublerait l’harmonie. Le son nous a paru d’un timbre complexe et composé de trois nuances, celles du hautbois proprement dit, de la clarinette et du cor anglais. Il résulte de ce mélange de timbres divers que les sons aigus de l’instrument de M. Paggi sont parfois d’une clarté trop blanche et manquent de couleur ou de mordant; mais ce qui est hors de toute contestation, c’est le talent remarquable du virtuose italien.

Et maintenant, seigneur , expliquons-nous tous deux.

Ceci s’adresse à M. Berlioz, qui vient encore de faire des siennes. Il n’a pas voulu que l’année s’achevât tranquillement; en conséquence il a réuni dans la salle Herz une troupe de symphonistes et de chanteurs qui ont exécuté une trilogie sacrée intitulée l’Enfance du Christ, dont les paroles et la musique sont de M. Berlioz. C’est dimanche, le 10 décembre, qu’a eu lieu la représentation de ce pieux mystère, qui doit faire le bonheur de M. l’abbé Gaume, s’il l’entend jamais, car il trouvera comme nous que l’œuvre nouvelle de M. Berlioz n’est pas du tout piquée du ver rongeur de la renaissance. C’est par-delà Giotto et Cimabuë, au temps où régnaient la foi et les types byzantins, avant la décadence dont Raphaël vint donner le signal, que nous transporte l’imagination de M. Berlioz ! Aussi l’historien de Sainte Elisabeth de Hongrie, M. de Montalembert, a-t-il dû tressaillir d’aise et de contentement, s’il a assisté à cette pieuse cérémonie, qui donne pleine raison à sa grande théorie de l’histoire de l’art. Il n’y avait que M. Berlioz qui, par sa complète innocence de toute science musicale moderne, fût en état de nous transporter en ces temps fortunés où

De pèlerins, dit-on, une troupe grossière
………..
Jouait les saints, la Vierge et Dieu par piété.
Le savoir, à la fin dissipant l’ignorance,
Fit voir de ce projet la dévote imprudence.

Boileau en parlait bien à son aise au milieu du grand siècle, qui n’avait pas prévu la théorie du progrès indéfini d’une part, et de l’autre le mal que devait opérer le ver rongeur de la renaissance.

La trilogie de M. Berlioz est divisée, comme de raison, en trois parties : l’Enfance du Christ, la Fuite en Égypte et l’Arrivée de la sainte famille à Saïs, ville depuis longtemps réunie à l’empire romain, dit le poème de M. Berlioz, qui ne le cède pas à la musique en naïvetés primitives. Nous renonçons à décrire l’incroyable fouillis de sons et de bruits discordans avec lesquels M. Berlioz a illustré la première partie de son libretto. C’est à la fois puéril et insensé, et nous n’avons pu saisir dans ce chaos de l’impuissance qu’une petite phrase du duo que chantent Joseph et la vierge Marie avec les paroles suivantes :