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Repose en paix sur la terre étrangère :
Les nobles cœurs sont de tous les pays !

Tous les printemps les marguerites franches
Étoileront ton front silencieux,
Comme des yeux d’or aux paupières blanches
Plongeant au loin dans l’infini des cieux.

Dans ces bosquets, les petites mésanges
Viendront nicher en gazouillant tout bas,
Comme là-haut gazouillent les beaux anges ;
Les oiseaux sont nos anges ici-bas.

Ici, du lit de mousse où tu reposes.
Tu n’as, le soir, qu’à te lever un peu
Pour voir là-bas les grandes Alpes roses »
Dresser leur front rose dans le ciel bleu.

Enfans du peuple, à toi, fille de France,
Nous dédions cet humble chant d’adieu.
Ce chant de mort ou plutôt d’espérance.
Qui te suivra jusqu’auprès du bon Dieu !
Que cette herbe te soit légère !
Te voilà libre de soucis.
Repose en paix sur la terre étrangère ;
Les nobles cœurs sont de tous les pays !


V.


Les forces de ma pauvre Lucie étaient à bout. Pendant quatre jours, je restai à son chevet sans savoir si à la perte de ma mère et de la grande Hirmine n’allait pas d’un instant à l’autre s’ajouter la sienne. Pour elle aussi bien que pour moi, la phase des larmes était passée ; notre accablement n’était plus de l’angoisse, mais de la stupeur. Hélas ! n’y avait-il pas bien de quoi ? Quelle autre impression pouvait produire sur une âme aussi timide et aussi délicate que celle de Lucie la pensée d’être la femme d’un forçat ? L’approche d’un malheur en ce genre a beau planer menaçante sur notre tête depuis le jour de l’arrestation du coupable ; le besoin d’espérance est si impérieux en nous, que, malgré toutes les invraisemblances, nous nous y acharnons à notre insu jusqu’au dernier moment, si bien que l’explosion finale de la sentence, quand elle arrive, nous écrase toujours comme un coup de foudre imprévu.

Lucie n’était pas femme, hélas ! à se réfugier dans cette conviction que les crimes sont affaire personnelle. Pour en arriver là, il faut savoir dégager les susceptibilités du point d’honneur de toute préoccupation de vanité, il faut avoir un sentiment net d’indépendance et de responsabilité qui lui manquait complètement. À cette âme consternée, deux asiles cependant eussent pu s’ouvrir encore : la conscience de sa candeur angélique, ou la vigoureuse et fière acceptation