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amis d’Anvers, Lemens, de voir où en était le tableau promis à Jabach. Rubens cette fois s’empressa de répondre. Il était content de sa nouvelle composition; il croyait avoir réussi, et pensait qu’elle serait comptée parmi ses plus belles œuvres; mais il ne voulait pas être pressé, et demandait qu’on lui laissât le loisir de l’achever à sa guise. A sa mort, ses héritiers trouvèrent l’œuvre achevée dans son atelier, et le Crucifiement de saint Pierre fut acheté pour le compte de Jabach.

Je ne veux pas conclure des lettres publiées par M. Gachet que Rubens ait travaillé quatre ans à ce tableau : ce serait dénaturer le sens de ces documens. Ce n’était certainement pas la seule composition qui l’occupât; mais comme il tenait à se contenter, et que les nécessités de la vie matérielle ne l’obligeaient pas à se séparer de son œuvre avant d’avoir réalisé sa volonté tout entière, il la prenait, la quittait et la reprenait, l’oubliait pendant quelques semaines pour y revenir avec plus d’entrain et de liberté. C’est une méthode excellente; par malheur, il n’est pas donné à tous les artistes de la suivre; la liberté dans le travail est un privilège qui n’appartient qu’au petit nombre. Rubens en profita dignement. Toutes les parties de son tableau sont traitées avec un soin scrupuleux, avec une exactitude, une précision qui étonnent ses plus fervens admirateurs. Sans vouloir placer le Crucifiement de saint Pierre au-dessus de la Descente de Croix, je pense qu’il faut avoir vu le premier de ces deux morceaux pour apprécier justement le savoir de ce puissant maître. A ne considérer que l’invention, il a produit bien des œuvres du même ordre; mais si l’on veut parler de l’exécution, la plupart de ses œuvres, comparées au Crucifiement de saint Pierre, paraîtront inachevées. Pureté des contours, finesse du modelé, justesse des mouvemens, tout se trouve réuni dans cette admirable composition. Je ne parle pas de la splendeur du coloris. Il serait hors de propos de comparer, sous ce rapport, le Crucifiement de saint Pierre et la Descente de Croix, car ce dernier tableau n’est plus aujourd’hui ce qu’il était en sortant des mains de l’auteur. Il a subi, hélas! comme tant d’autres chefs-d’œuvre, les outrages d’une main inhabile qui prétendait le rajeunir et lui rendre son premier éclat. Il a été réparé comme chez nous Lesueur, Nicolas Poussin et André del Sarto. Il n’est donc pas permis aujourd’hui de parler du coloris de la Descente de Croix; nous serions exposé à mettre sur le compte de Rubens les étranges caprices des réparateurs.

Je n’ai pas besoin de rappeler que saint Pierre fut crucifié la tête en bas. voici comment sont disposés les personnages dans le tableau de Cologne : à gauche du martyr, un bourreau agenouillé enfonce la croix en terre; un autre, à droite, soutient la main gauche du