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qui convenait à la nature de son génie, et se l’est assimilé de façon à le faire sien. Lors même qu’il les imite, il garde toujours un accent qui lui appartient. S’il ne sait pas faire de l’architecture un emploi aussi heureux que l’auteur des Noces de Cana, s’il n’écrit pas la forme avec autant de précision que l’auteur du Jugement dernier, il y a dans ses plus belles œuvres, dans ses compositions les plus éclatantes, quelque chose qui rappelle tour à tour Rome et Venise.

Pour assigner au talent de Rubens cette double origine, il n’est pas nécessaire de posséder une bien vive pénétration; il suffit d’examiner la question avec bonne foi, de ne pas accepter sur parole une opinion toute faite et transmise de main en main comme une monnaie de bon aloi. A Dieu ne plaise que je contredise le sentiment reçu pour le puéril plaisir d’exprimer un sentiment nouveau : le paradoxe n’est à mes yeux qu’une joie d’enfant; mais l’histoire de la peinture nous montre dans Rubens un disciple de Rome et de Venise et ne permet pas de voir en lui un génie sans aïeux et sans maître. Peu importe que l’opinion vulgaire lui attribue une originalité absolue, tant pis pour l’opinion vulgaire si elle ne s’accorde pas avec l’histoire. D’ailleurs, aux yeux des hommes de bon sens, l’avis que j’énonce n’est pas une atteinte portée à la gloire de Rubens. Si le maître flamand relève de Paul Véronèse et de Michel-Ange, les générations venues après lui relèvent à leur tour de son puissant génie. Si la connaissance du passé nous défend de voir en lui un homme entièrement nouveau dans le sens radical du mot, sa part est encore assez belle, assez grande, assez glorieuse, assez digne d’envie. Entrer dans une famille où figurent Michel-Ange et Paul Véronèse, serait-ce par hasard déroger ? Instruit par Venise, par la chapelle Sixtine, fécondé par ce double enseignement, le génie de Rubens a créé des œuvres immortelles. Vouloir qu’il ait tout tiré de lui-même est une prétention que la raison répudie.

L’action de Rubens sur le développement de la peinture n’est pas difficile à déterminer. Il a imprimé à toutes les représentations de la nature humaine un caractère de vie et de réalité que la peinture ne connaissait pas avant lui. Envisagées sous ce point de vue exclusif, ses œuvres nous offrent un caractère tout nouveau. Il n’y a pas dans l’histoire entière de l’art avant le XVIIe siècle un seul tableau qui se puisse comparer aux siens pour la vérité prise dans le sens prosaïque du mot. Rubens, profitant des leçons de ses prédécesseurs, s’est efforcé de nous montrer la chair telle qu’il la voyait, et, quelle que soit la doctrine que l’on veuille défendre, il faut bien reconnaître qu’il a touché le but. Pour marquer son rang dans l’histoire, pour montrer les élémens nouveaux qu’il a introduits dans la peinture, c’est ainsi qu’il faut l’envisager. Comme peintre de la chair, comme