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aventureux qu’il entreprit en 1844 et 1845 dans la Tartarie et au Thibet[1] ; aujourd’hui, fidèle à sa promesse, il raconte son retour du Thibet et nous fait traverser de l’ouest à l’est le vaste empire chinois.

M. Huc, on s’en souvient, avait franchi, en 1844, les frontières occidentales de la Chine pour aller, avec M. Gabet, fonder à Lhassa le siège d’une mission catholique. Parfaitement accueillis dans la capitale du Thibet par la population, par les lamas et par le régent, les deux missionnaires avaient en peu de temps opéré plusieurs conversions, et ils se promettaient une abondante moisson de fidèles. Malheureusement ils avaient compté sans les susceptibilités jalouses de l’ambassadeur que la cour de Pékin entretient à Lhassa. Le mandarin Kichan prit ombrage. « — Il fait ici un froid terrible, dit-il à M. Huc, le climat est malsain : vous seriez mieux en France. — Mais point du tout ; le pays nous plaît. — Ah ! nous verrons bien ! » Et alors commence une série de méchans tours, de petites persécutions, de grandes menaces adressées tant aux missionnaires qu’au régent thibétain. Celui-ci, excellent homme, qui d’abord avait soutenu ses hôtes, dut à la fin s’avouer vaincu, et le départ des missionnaires fut décidé. Kichan, satisfait de sa victoire, leur prodigua dès ce moment toutes sortes d’égards. Voilà donc MM. Huc et Gabet qui se remettent en route pour la frontière chinoise, d’où ils doivent se rendre dans la capitale de la province de Sse-tchouen, et de là à Canton ; mais cette fois ils ne voyageront plus en missionnaires, « à la façon des ballots de contrebande. » Vous les verrez entourés d’une escorte de mandarins, et foulant au grand jour le pavé ou plutôt la poussière des routes impériales. Ce ne sont point des délinquans reconduits de brigade en brigade jusqu’à la frontière ; ce sont de nobles étrangers poliment condamnés à se voir rapatriés aux frais du gouvernement chinois. Singulier voyage qui n’a point encore eu son pareil dans les annales des missions catholiques en Chine et qui méritait assurément d’être conté !


I.

Ta-tsien-lou (la forge des flèches) est la première ville que l’on rencontre en sortant du Thibet ; elle appartient à la province de Sse-tchouen. MM. Huc et Gabet y arrivèrent au commencement de juin 1846, trois mois après avoir quitté Lhassa. Ils venaient de franchir, à cheval et Dieu sait par quels chemins, cinq mille cinquante lis, soit environ cinq cent cinq lieues. Un peu de repos leur était nécessaire, et puis nos voyageurs allaient désormais faire route sur le territoire

  1. Voyez, sur ce voyage et sur les Missions de la Haute-Asie, la Revue du 15 juin 1850.