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faisait partie de la colonie anglaise de Lisbonne ; ce fut une occasion pour lui de visiter l’Espagne et le Portugal en 1795 ; il avait environ vingt-deux ans. Deux ans après, il publia le récit de son voyage, enrichi surtout de traductions poétiques, et depuis lors il ne cessa de suivre avec une attention sympathique tous ces problèmes de la vieille littérature castillane que soulevait déjà le zèle croissant des érudits. Un ouvrage espagnol, fort admiré dès son apparition, mais en butte aujourd’hui aux plus violentes attaques, donnait alors le signal et inspirait le goût des recherches originales ; je parle du livre de don Juan Antonio Conde sur la domination des Arabes en Espagne, publié à Madrid en 1820. Dès lors les études nouvelles sur le Cid se succédèrent avec éclat. Une des meilleures biographies du vainqueur de Valence est celle qu’a donnée en 1828 un docte écrivain de l’Allemagne, M. Huber. Un autre Allemand, M. Aschbach, professeur à l’université de Bonn, à qui l’on doit une intéressante histoire des Ommayades, a imprimé en 1843 un mémoire intitulé de Cidi historæ fontibus dissertatio. Il faut citer ici les histoires d’Espagne publiées en France vers cette époque, celle de M. Rosseeuw Saint-Hilaire et celle de M. Romey ; le Cid joue un rôle trop considérable au XIe siècle, sa vie est trop mêlée aux destinées du pays tout entier pour que les deux historiens aient pu négliger les problèmes de cette biographie mystérieuse. Presque tous les écrivains que je viens de nommer élevaient des doutes sur l’histoire traditionnelle du Cid; M. Damas-Hinard, au contraire, dans l’introduction de son Romancero, défendait, selon moi, avec plus de générosité que de véritable critique le vieil idéal du héros chevaleresque. Enfin en 1845 M. George Dennis publiait à Londres un agréable volume intitulé le Cid, dans lequel il résumait brièvement les documens fournis par les poètes primitifs de l’Espagne (The Cid, a short chronicle founded on the early poetry of Spain).

On voit que ces biographies sont presque toutes empruntées aux poétiques récits du XIIe et du XIIIe siècle, que chacun interprétait à sa manière avec plus ou moins de méthode et de sagacité. Rappelons en peu de mots ces documens : c’était d’abord la vieille chanson de geste, publiée au XVIIIe siècle par Thomas Sanchez, sous le titre de Poème du Cid, et qui devrait bien plutôt, selon la remarque de M. Magnin, renouvelée avec verve par M. Dozy, s’appeler dans le style du moyen âge la chanson du Cid. C’était ensuite la Cronica general de España, rédigée au XIIIe siècle par Alphonse le Savant (el sabio), qu’on appelle à tort Alphonse le Sage ; puis la Cronica del Cid, imprimée à Burgos en 1512 d’après un manuscrit de ce célèbre couvent de Saint-Pierre de Cardeña, où était le tombeau du Cid. Ajoutez à cela quelques pages, quelques renseignemens épars çà et là dans des chroniques, dans des annales latines ou espagnoles, dans la chronique latine de Burgos, dans les annales espagnoles de Tolède, dans les annales latines de Compostelle, dans le Liber Regum, dans les chroniques des deux savans évêques Lucas de Tuy et Roderich de Tolède ; ajoutez, dis-je, à la chanson du Cid et aux deux chroniques qui s’y rattachent ces brèves et naïves indications, vous aurez tout ce qu’en possédait sur l’époux de Chimène, lorsqu’en 1792 un écrivain espagnol, le père Risco, publia sous ce titre, la Castilla. y el mas famoso Castellano, un livre qui fut un événement. Risco prétendait avoir découvert à Léon, dans