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de l’office divin, une odeur insupportable s’était tout à coup répandue dans la chapelle de l’université ; plusieurs étudians avaient été accusés de cette mauvaise plaisanterie, et Lorenzo était du nombre. Or il se trouvait que précisément Lorenzo s’était absenté du service ce dimanche-là, et qu’il avait passé les heures de l’office dans un café de la ville, où il s’était amusé à donner une leçon de billard à un de ses camarades. Prouver un alibi n’était pas chose facile : comment avouer qu’on n’avait pu commettre une faute parce qu’on en avait commis une autre ? Ce qu’il y avait de mieux à faire, c’était de se soumettre en silence à la condamnation qui le frappait. « C’est un dilemme sans issue, lui avait dit un de ses amis. Vous ne pouvez appeler en témoignage un maître de café et deux ou trois de vos condisciples qui à ce moment étaient supposés assister à l’office, cela serait absurde et ne servirait à rien. Supportez cet accident avec courage, c’est tout ce que vous pouvez faire. »

Tel ne fut pas l’avis du père de Lorenzo, homme intraitable et tyrannique, comme nous l’avons dit. Pour se soustraire aux colères et aux sarcasmes de son père, Lorenzo se décide à aller trouver un des chefs de l’administration universitaire, M. Merlini, personnage aigre-doux, mielleux, caressant, dangereusement insinuant, mélange d’inquisiteur et de juge d’instruction. « En quoi puis-je rendre service à M. Farina ? dit l’excellent homme en feignant de se tromper de nom dès qu’il aperçoit Lorenzo. — Je vous demande pardon, monsieur, mon nom est Benoni. — Ah ! c’est vrai ; ma mémoire est si faible… Quel service puis-je rendre à M. Benoni ?» Lorenzo explique les motifs de sa visite, et alors a lieu la conversation suivante, curieuse en ce qu’elle renferme ce mélange de violence et de souplesse, de terrorisme et de politesse extérieure, d’indulgence apparente et d’inflexibilité réelle qui compose la politique du despotisme :


«Vous avez, dit-il, une façon si claire d’exposer les choses, qu’il me semble maintenant me souvenir tant soit peu de l’affaire que vous avez mentionnée. Vous vous déclarez non coupable, et certes c’est bien votre droit. Quel coupable a jamais été assez fou pour s’avouer tel ? Hi ! hi ! hi ! vous me rappelez la dernière cause que j’ai plaidée devant la cour criminelle. Je prononçai un plaidoyer qui, je dois le déclarer, obtint un brillant succès. C’était une affaire de parricide. Les preuves contre nous étaient accablantes. Mon homme avait mis dans sa tête de s’avouer coupable. — Vous ne le ferez pas, dis-je, et il ne le fit pas pour son bonheur, car mon plaidoyer le fit acquitter. — Et M. Merlini se mit à rire de nouveau.

« À la vérité, je n’apercevais pas ce que cette anecdote avait de commun avec l’affaire en question, mais je ne hasardai aucune observation sur ce sujet.

« — Vous dites que vous êtes innocent, reprit M. Merlini ; très bien, mais où est la preuve à l’appui de votre assertion ?