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— c’est-à-dire d’une manière fort chétive. Cependant les cinquante francs qu’il recevait chaque mois lui constituaient du moins une sécurité d’existence qui manquait à ses camarades, puisque ceux-ci, étant encore dans la période des études, ne pouvaient retirer aucun profit de leurs travaux. Aussi, lorsqu’ils parlaient entre eux du poète Olivier, ils l’appelaient en riant le capitaliste.


II. — LA MARRAINE.

Lazare, dont on s’occupera plus spécialement dans le présent récit, bien qu’il fût le plus pauvre des membres de la société, était cependant le seul qui aurait dû trouver des ressources en dehors de son art. Il comptait dans sa famille plusieurs personnes qui, sans être riches, eussent été en état de lui être utiles, et en avaient manifesté l’intention quelquefois; mais Lazare avait repoussé des avances faites dans une forme qui blessait son amour-propre, parce que les personnes qui lui faisaient ces propositions n’avaient paru accorder qu’une confiance médiocre à son avenir d’artiste, et toute espèce de doute à cet égard lui semblait injurieux.

Lazare avait pour marraine la femme d’un des premiers négocians de Paris, Mme Renaud. C’était une amie d’enfance de sa mère, et elle avait reporté sur Lazare une partie de l’affection qu’elle avait eue pour la défunte. Cette dame avait un jour proposé au jeune homme de lui faire une pension qui lui assurerait au moins les premières nécessités de l’existence, mais c’était à la condition que si au bout de deux années il n’était pas parvenu à se créer une position indépendante, il renoncerait à la peinture pour aborder une carrière plus sérieuse. Sa marraine exigeait en outre qu’il habitât dans sa propre maison, et qu’il s’engageât à renoncer à voir toute société en dehors de celle où elle vivait elle-même. Lazare essaya de lui faire comprendre que sa profession même l’obligeait à contracter des relations avec des personnes étrangères au monde qu’elle recevait; il lui objecta que la vie d’un artiste n’était pas possible, restreinte dans un milieu unique, que l’indépendance était une atmosphère nécessaire au développement des facultés, que toute habitude était pesante, et mille autres raisons. Il ne put parvenir à convaincre sa marraine. La bonne dame partageait certains préjugés qui représentent la vie d’artiste comme un enfer de désordre et de débauche; elle s’obstina dans ses premières conditions, et, Lazare ayant refusé de s’y soumettre, elle lui déclara qu’elle l’abandonnait.

C’est peu de temps après cette rupture que l’artiste avait fait la connaissance d’Antoine et de son frère. Quand Lazare avait instruit l’homme au gant de la proposition que lui avait faite sa marraine,