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grande mémoire et de cet instinct merveilleux qui supplée à la connaissance, mais que la connaissance ne peut jamais remplacer, Rubini a été l’un des plus admirables chanteurs de notre temps, un mélange d’improvisateur et d’imitateur patient dont il importe de bien saisir la physionomie.

Les ténors qui ont acquis assez de célébrité pour laisser un nom dans l’histoire ne sont pas très nombreux. Avant la naissance du drame lyrique et jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, ce sont les sopranistes et les prime donne qui régnaient presque sans partage dans l’opéra italien, dans la chapelle des princes et des communautés religieuses. On n’a commencé à écrire pour la voix de ténor qu’assez tard, et le premier qui se soit signalé comme ténoriste de mérite est un nommé Buzzolini, qui était chanteur de la chambre du duc de Mantoue vers la un du XVIIe siècle. Dans le siècle suivant, les ténors commencent à figurer avec avantage à côté des sopranistes les plus prestigieux, et les compositeurs leur consacrent des rôles assez importans, particulièrement dans les opéras bouffes. Parmi les ténoristes célèbres du XVIIIe siècle, on peut signaler Ettori, qui fut longtemps au service du prince palatin, et qui chantait à Padoue en 1770 avec un très grand succès; Balino, qui fut élève de Pistocchi, et qui est mort à Lisbonne en 1760 ; Rauzzini, qui fut à la fois un chanteur célèbre et un compositeur distingué, et qui est mort à Bath, en Angleterre, en 1810; Raff, né à Gelsdorf, dans le duché de Juliers, élève de Pistocchi, et le plus grand chanteur qu’ait produit l’Allemagne au XVIIIe siècle; Davide père, une des voix les plus étonnantes qui aient existé, chanteur admirable et puissant qui partagea, avec son contemporain Ansani, l’admi- ration de l’Italie; Mandini, chanteur exquis qui faisait partie de la troupe italienne qui vint à Paris au théâtre de Monsieur en 1789; Viganoni, qui a créé le rôle de Paolino dans le Mariage secret de Cimarosa; Crivelli, qui chanta longtemps à l’Opéra-Italien de Paris, et qui produisit dans le Pirro et la Nina de Paisiello un effet dont les vieux amateurs se souviennent encore; Babbini enfin, l’un des plus délicieux ténors de l’ancienne école italienne, qui a eu l’honneur de donner quelques conseils à Rossini sur l’art de chanter. L’avènement de ce maître illustre produisit dans l’économie de la musique dramatique une grande révolution dont le principal caractère fut que les voix naturelles de soprano, mezzo-soprano, contralto, ténor et basse prirent dans l’harmonie la place qu’elles occupent dans l’échelle sonore. Grâce à cette heureuse réforme, qui fut encore plus le résultat de la nécessité que de l’initiative du maître, et qui d’ailleurs avait été essayée avant Rossini, d’abord par Mozart, ensuite par Cimarosa et Paisiello, les ténors remplacèrent les castrats dans la préoccupation du compositeur, qui leur assigna dans presque tous ses ouvrages le rôle prépondérant.

Parmi les ténors remarquables que le génie de Rossini a suscités, et qui font partie de l’escorte de virtuoses qui ont interprété son œuvre et qui l’accompagneront dans l’histoire, il faut citer d’abord Garcia, qui a créé le rôle d’Almaviva dans il Barbiere di Siviglia, artiste consommé dont la voix puissante et souple ne redoutait aucune difficulté. Davide, fils naturel du grand ténor de la fin du XVIIIe siècle que nous avons cité plus haut, fut un chanteur de génie pour qui Rossini composa un grand nombre d’ouvrages. Il figura successivement dans il Tiirco in Italia, Otello, Ricciardo e Zoraïde, la Donna del Lago, la Zelmira, etc. Lorsque Davide fils’vint à Paris en 1829, sa