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sauf à examiner quand et comment la promesse serait remplie. Un incident qui suivit de près la double ambassade fit reconnaître à Justinien qu’il avait pris le plus sage parti, et que l’apparente humilité des Gépides n’était qu’un leurre pour endormir sa prévoyance.

Dans cette grande presqu’île qui termine la Mer-Noire au nord et la sépare des Palus-Méotides, presqu’île appelée autrefois Cimmérienne et maintenant Crimée, habitait le peuple des Goths tétraxites, humble débris du vaste empire d’Hermanarik. Quand cet empire tomba, en 375, sous les coups des Huns de Balamber, des Goths fugitifs vinrent chercher la liberté dans le groupe de montagnes qui couronne la péninsule au midi, et qui portait encore au VIe siècle de notre ère l’antique dénomination gauloise de Dor ou Tor, c’est-à-dire de haut pays[1]. Ils y occupaient des vallées fertiles et bien arrosées, propres au labourage ainsi qu’à l’éducation des troupeaux, et avec le temps ils formèrent un petit peuple aussi connu par ses mœurs hospitalières et pacifiques que par sa bravoure quand il était provoqué. On ne trouvait chez lui ni villes ni fortifications d’aucune sorte, ces fils des vieux Germains ayant conservé religieusement l’aversion de leurs ancêtres pour les murailles et les clôtures, qu’ils regardaient comme des prisons. Leur petite république, aussi sage que guerrière, se maintenait presque toujours en paix, malgré le voisinage des Huns outigours, établis dans le nord de la presqu’île et dans les steppes à l’est du Bosphore cimmérien, et celui des Huns coutrigours, qui possédaient le pays à l’ouest des Palus-Méotides, tant ces tribus indomptables avaient appris à respecter le bouclier quadrangulaire et la longue épée des Goths tétraxites ! Les villes romaines qui bordaient la côte méridionale, où se faisait un grand commerce, Cherson, Sébastopol, Théodosie et Bosphore, gardienne du détroit, trouvaient dans la petite république gothique une honnête et utile alliée, et un échange mutuel de bons offices faisait que cette alliance n’éprouvait jamais de mécomptes. Les Goths tétraxites étaient chrétiens. De quelle église ? Appartenaient-ils à celle qui admettait le symbole de Nicée et la consubstantialité des deux premières personnes divines dans le mystère de la sainte Trinité, ou bien partageaient-ils les erreurs d’Arius avec les autres nations de leur sang disséminées en Europe ?— On l’ignorait à Constantinople,.

  1. « Dory maritima regio, ubi ab antiquo Gothi habitant. » Procop, Ædif, III, 7. C’est de là que la partie méridionale de la péninsule cimmérienne avait reçu dans les fables grecques le nom de Tauride. Les noms où entre le radical dor sont très fréquens dans les pays habités autrefois par les races gauloises, témoin les Tauriskes, les Taurini et les nombreux monts Dor, d’Or et Tor qui existent en Gaule et dans les Alpes, soit orientales, soit occidentales. On sait d’ailleurs que les Cimmériens (Kimri) furent une des souches d’où sortirent les nations gauloises. (Voyez l’Hist. des Gaulois, t. Ier.)