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roi des Coutrigours, qui ne le valait pas, faisait sécher Sandilkh de colère, et dans ses retours amers sur lui-même il ne savait ce qu’il devait le plus haïr du rival heureux qui l’effaçait, ou de l’empereur Justinien, si mauvais juge du mérite. À la vue des émissaires romains arrivés dans son camp, son front s’épanouit, et il songea à prendre sa revanche. Les propositions qu’apportaient ceux-ci étaient nettes et sans ambages : ils offraient au chef des Outigours la subvention qu’avait touchée jusqu’alors celui des Coutrigours, à la condition que le premier se constituerait le gardien du second, et que chaque fois que les Coutrigours enverraient quelque expédition du côté du Danube, Sandilkh en ferait une dans leurs campemens, qu’il traiterait de façon à ramener les troupes coutrigoures sur leurs pas ; autrement il ne ménagerait rien pour les châtier. Ces propositions fort claires, comme on voit, parurent d’abord révolter Sandilkh. Du ton d’un homme longtemps méconnu et qui sent qu’on a besoin de lui, il s’écria avec emphase : « Vous êtes vraiment injustes, ô Romains, quand vous exigez que j’extermine des compatriotes et des frères, car sachez que non-seulement les Coutrigours parlent la même langue que nous, s’habillent comme nous, ont les mêmes mœurs et les mêmes lois, mais qu’ils sont du même sang que les Outigours, quoique les deux peuples soient gouvernés par des chefs différens. Voici cependant ce que je puis faire pour rendre service à votre empereur. J’irai surprendre les campemens des Coutrigours, et je ferai main-basse sur leurs chevaux que j’emmènerai tous avec moi. Il en résultera que vos ennemis, n’ayant plus de montures, ne pourront de longtemps vous faire la guerre, et alors vous dormirez en paix. » Les envoyés romains auraient pu rire de l’offre de Sandilkh, si elle n’eût eu par trop l’air d’une moquerie insolente ; mais ils sentirent l’intention, et l’un d’eux, retournant dans le cœur du barbare l’aiguillon de la jalousie, lui demanda ironiquement si ses compatriotes et frères les Coutrigours, dont il montrait tant de souci, partageaient avec lui l’argent que les Romains leur donnaient, et si lui-même comptait sur une part de leur butin quand ils viendraient piller les terres de l’empire. Le coup porta juste. Sandilkh, hors de lui, jeta le masque, reçut les présens, et jura de faire aveuglément tout ce qu’on lui demandait.

Tandis que les deux politiques gépide et romaine travaillaient ainsi par des mines et des contre-mines les barbares de la Mer-Noire et les tiraillaient en sens contraire, le jour fixé pour le grand duel des Gépides et des Lombards arriva. Les champions se trouvèrent pris au dépourvu, les secours qu’ils attendaient de part et d’autre leur ayant fait défaut ; toutefois le point d’honneur germanique n’en exigeait pas moins qu’ils répondissent à un engagement