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traîner à terre des branchages, dans la pensée de faire croire à une grande multitude et d’effrayer les chevaux. Bélisaire lui-même se posta en travers de la route, suivi de ses vétérans et de son infanterie bourgeoise. Toutes ces mesures furent exécutées avec une précision merveilleuse. Effectivement la masse des barbares parut, et, n’ayant point observé d’ennemis jusqu’alors, entra sans hésitation dans le défilé. Quand elle y fut bien engagée, les cavaliers romains se démasquèrent et chargèrent à la fois sur les deux flancs, en brandissant leurs armes et poussant ensemble de grands cris, auxquels répondirent les paysans, qui se mirent à frapper les arbres, à secouer et traîner des rameaux, comme il leur avait été ordonné. Le vent soufflant au visage des barbares, ils recevaient dans les yeux des tourbillons de poussière qui les aveuglaient eux et leurs chevaux. Ce fut le moment que prit Bélisaire pour avancer, et les Huns sentirent tout à coup en face d’eux une barrière de fer.

Ce qui suivit ne saurait se décrire : ce fut un tumulte effroyable, Un pêle-mêle de chevaux qui se cabraient, de cavaliers renversés sous leurs montures, de masses se pressant, se culbutant les unes sur les autres. Le combat fut vif aux premiers rangs, cavalerie contre infanterie, et Bélisaire, enveloppé un moment, se dégagea en tuant ou blessant plusieurs ennemis avec la décision et la vigueur de bras d’un jeune homme. L’épée romaine n’eut bientôt plus qu’à éventrer des chevaux ou à percer des hommes à moitié étouffés. Les paysans les assommaient à terre avec leurs bâtons. Quatre cents des soldats de Zabergan jonchèrent la forêt, le reste s’enfuit dans toutes les directions. Un historien remarque qu’à la différence des retraites ordinaires des Huns, toujours très meurtrières, parce que ces barbares décochaient leurs flèches avec une grande justesse tout en fuyant, celle-ci n’eut de danger que pour eux, tant il y régna de précipitation et de désordre. Si Bélisaire avait eu une cavalerie exercée et faite à la fatigue, aucun ennemi n’aurait échappé, Zabergan lui-même eût été pris. Les Romains, maîtres de la forêt, enlevèrent leurs blessés (ils n’avaient pas un seul mort), et rentrèrent dans leur camp pour s’y reposer. Au même moment, le camp des Huns présentait un spectacle à la fois curieux et effrayant. La vue de leur roi fugitif et de ses escadrons arpentant la campagne à bride abattue frappa les Huns d’épouvante ; ils se crurent perdus sans ressource, et commencèrent à se taillader le visage avec la pointe de leurs poignards en poussant des hurlemens lugubres : c’était la manière dont se manifestait leur deuil dans les grandes calamités publiques. Quant à Zabergan, il fit sans perdre un instant plier les tentes, atteler les chariots, et décampa de Mélanthiade, du côté de la longue muraille.

Bélisaire songeait à le suivre avec son armée rafraîchie. Il aurait eu bon marché sans doute d’un ennemi paralysé par la frayeur ;