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qui donnèrent dans ces extravagances est Mlle Brohon, morte à Paris en 1778. Cette visionnaire avait, comme sainte Catherine de Sienne, sainte Thérèse et d’autres femmes mystiques célèbres, un certain mérite de style, de la chaleur et souvent même de l’éloquence. Elle a composé divers ouvrages qui ont paru pour la plupart sous le voile de l’anonyme. Mlle Brohon ne tarda pas à exercer un véritable empire sur des gens distingués; elle occupa de ses hallucinations et de ses prétendues prophéties une foule de membres du clergé et des personnes de la haute société. L’établissement des victimes devint bientôt la question à la mode. Il s’agissait de fonder un nouveau culte dont Mlle Brohon serait la législatrice, et qui était destiné à reproduire avec des grâces nouvelles l’ineffable bienfait de la médiation de l’Homme-Dieu. Les victimes devaient avoir en effet, c’était leur nouvelle institutrice qui l’assurait, un excès de grâce divine qu’elles pouvaient utilement appliquer à détourner les fléaux dont était menacé le genre humain; elles prenaient sur elles l’anathème général et devenaient de la sorte le centre commun et le réservoir de toutes les faveurs divines. Dieu se servant de leur canal pour les répandre sur la terre. En 1774, la prophétesse mystique écrivit à Christophe de Beaumont, archevêque de Paris, pour lui prédire que Dieu allait exercer son jugement sur les nations, décimer la terre et se choisir un peuple nouveau; auparavant il était absolument nécessaire d’établir des victimes qui s’immolassent continuellement à Dieu. Il va sans dire que Mlle Brohon devait être la première. A la tête des victimes, celle-ci proposait de placer son propre directeur, naturellement plus avant dans le secret de sa pensée qu’aucun autre ecclésiastique, l’abbé du Garry, vicaire de Saint-Pierre-aux-Bœufs et depuis curé de Ville-d’Avray. Quoique Mlle Brohon menaçât la France de grands malheurs, si elle se refusait à cet holocauste féminin, le prélat tint peu de compte de ses avertissemens. Elle se tourna alors vers le roi, déjà malade et auquel peu de jours devaient être encore comptés. Elle lui exposa fort au long dans un placet le projet de son institution et ne lui demandait rien moins que sa fille, Mme Victoire, pour l’une des victimes. Le nombre devait en être fixé à douze; on aurait ainsi représenté le collège apostolique par un collège investi de la même mission. Toutefois la prophétesse n’avait pas voulu exclure complètement le sexe masculin du nouveau sacerdoce mystique; les hommes entraient pour moitié dans les douze, mais ils n’occupaient que le second rang. Aux femmes revenait tout l’honneur de la mission nouvelle. Il s’agissait en effet d’humilier le sexe masculin, qui avait abusé de sa supériorité, et de le piquer de jalousie en présence du zèle déployé par le sexe le plus faible.

On voit que Mlle Brohon était sur le chemin d’une religion qui