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souvent imprimés par le mystique sans qu’il en ait eu connaissance. Le malade est devenu le jouet d’une hallucination qui lui représente des rayons célestes ouvrant dans ses membres les plaies qu’il se fait lui-même. Le retour fréquent de semblables hallucinations a pu rendre chronique cette stigmatisation d’abord tout artificielle. Un religieux trappiste qui est en même temps médecin, M. Debreyne, dans son Essai sur la Théologie morale dans ses rapports avec la physiologie et la médecine, publié à Paris en 1843, attribue à une cause analogue un fait de stigmatisation. La femme qui avait été soumise à son examen n’avait rien dans sa conduite et son caractère qui pût faire croire qu’un miracle de la grâce se fût opéré en sa faveur. Dieu, disait-elle, l’avait choisie pour l’objet de ses complaisances; mais il faut avouer que ces complaisances étaient d’une nature extraordinaire et fort naïve tout à la fois. Quand cette jeune fille tombait dans un accès d’extase, on lui trouvait soudain à la main, et sans qu’on pût savoir comment, des morceaux de sucre et des pommes cuites qu’elle assurait venir de la sainte Vierge, de l’enfant Jésus et de saint Jean-Baptiste. «Ce sucre était excellent, dit l’ecclésiastique qui nous a donné une relation de la merveille; il était en morceaux, tel qu’on en met dans un sucrier, et j’en ai mangé une fois. » — «Quand ce sucre tombait ou lui venait, c’est toujours le même ecclésiastique qui parle, on ne le voyait que lorsqu’il était très près des mains. Non-seulement on ne pouvait s’imaginer d’où elle aurait pu se procurer ce sucre, mais on s’est assuré par tous les moyens possibles qu’elle n’avait pas un seul morceau de sucre sur elle, ni dans son bonnet, ni dans ses habits, ni dans son lit, ni sur sa couche nue, qu’on a quelquefois posée à terre pour rendre toute jonglerie impossible. »

À ce miracle des morceaux de sucre, le corps de cette jeune fille joignait celui des stigmates. On eut recours aux précautions les plus minutieuses pour s’assurer si elle n’usait pas là aussi de quelque supercherie. On mit sous la bande dont on avait étroitement serré la mystérieuse plaie, faite à l’un des pieds, une hostie non consacrée, qui eût accusé l’intervention d’une aiguille ou d’une épingle, et le vendredi soir on retrouvait l’appareil parfaitement en place et le linge imprégné cependant du sang que la plaie versait tous les vendredis. Le père Debreyne reconnut le naturalisme du miracle, et il en a proposé une explication ingénieuse, fondée sur la possibilité de rendre périodique une exsudation sanguine, obtenue d’abord artificiellement. Au milieu du XVIe siècle, une stigmatisée du même genre attira l’attention de saint Ignace de Loyola. Sa tête présentait aussi les marques de la couronne d’épines et répandait un sang abondant à certains jours commémoratifs. La dévotion entoura cette extatique