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misérables en faisant le grand et le petit jeu, — un jeu où doivent avant toutes les autres couleurs apparaître les piques, signe de malheur et de détresse, ou les carreaux, signe des longs voyages, celui de Botany-Bay par exemple, ou celui, plus lointain encore, de l’éternité. M. Vanderkiste a eu la chance de trouver quelques restes d’honnêteté chez certains de ces misérables honteux de la vie d’escroquerie qu’ils menaient et désireux de gagner leur pain par un autre métier, si cela leur était possible. Un pauvre comédien ambulant fit part un jour au prédicateur de ses scrupules de conscience; il lui était impossible de satisfaire aux exigences de son public. Les spectateurs qui venaient assister à ses représentations voulaient des pantomimes et des chants obscènes : il ne pouvait se résigner à cette nécessité; il était un homme religieux, et il ne pouvait consentir à faire des choses que réprouvaient la morale et la loi de Dieu. « Je considère, disait-il, qu’il est plus honnête d’aller fouiller les ordures pour y trouver sa vie que de faire le métier que je fais. Je le déteste : il n’y a rien au-dessous. » Des sentimens semblables furent exprimés au prédicateur par une vieille tireuse de cartes qui ne demandait pas mieux que de renoncer à vivre du maigre produit de la bêtise de ses frères en mendicité, même au risque de mourir de faim. « C’était pour avoir un morceau de pain que je faisais ce métier, lui dit-elle; que suis-je après tout ? Une pauvre veuve. Je suis là assise sans une braise pour me chauffer, sans une croûte à me mettre sous la dent, sans un brin de tabac (elle avait l’habitude de fumer), et voilà que des fous viennent pour se faire dire leur bonne aventure : je suppose que le diable les envoie pour tenter une pauvre vieille comme moi; mais, grâce à Dieu et à notre Seigneur Jésus, dont vous m’entretenez si bien, je tiendrai dorénavant mes mains nettes de ce métier, car il n’y a rien de bon à en espérer, et, béni soit Dieu ! j’en vois maintenant toute l’immoralité. » Elle tint parole, et mourut dans ces sentimens.

Malheureusement tous les habitans du district visité par M. Vanderkiste ne sont pas aussi vertueux, si on peut se servir de cette expression. Nous voudrions donner une idée de la vie et des mœurs de ces bouges, et cette tâche a sa difficulté, car l’horreur a sa monotonie, et manque souvent de variété. Ce sont toujours les mêmes scènes de misère, de brutalité, d’intempérance. S’il vous arrive par exemple de visiter quelqu’une de ces tristes habitations à une heure trop avancée de la soirée, vous courez risque de vous heurter contre un objet inanimé qui secouera à demi son immobilité, pour vous adresser quelque injure. « Mme T.., s’étant levée de bonne heure, comme de coutume, pour aller à son marché, se heurta dans les escaliers contre un objet qu’elle ne pouvait voir dans l’obscurité. Elle reconnut la voix d’une prostituée qui vivait dans la maison, et qui