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districts ne sont pas les hommes faits, mais les enfans. La période la plus criminelle de la vie est pour l’habitant de ces quartiers de quinze à vingt ans. C’est ainsi qu’il jette sa gourme et épuise le feu de la jeunesse. « Les jeunes gens de quinze à vingt ans, dit M. Vanderkiste, ne forment pas un dixième de la population, mais ils commettent au moins un quart des crimes. » Quant aux femmes, leur salaire insuffisant et incertain est la source des plus grandes misères et des plus grandes hontes. M. Vanderkiste raconte que, dans une réunion singulière, qui se tint à Shadwell il y a quelques années, et où assistaient plus de mille femmes, toutes couvertes de vêtemens que le terme de haillons n’aurait désignés que d’une manière impropre, on posa cette question : — Combien ont gagné 8 shillings la semaine dernière ? — Pas une main ne se leva dans toute l’assemblée, non plus qu’au chiffre 7. Cinq avaient gagné 6 shillings, vingt-huit 5 shill, treize 4 shill. 6 pence, cent quarante-deux 3 shill, cent cinquante 2 shill. 6 pence, soixante-onze 2 shill, quatre-vingt-deux 1 shill. 6 pence, quatre-vingt-dix-huit 1 shill.; quatre-vingt-douze femmes avaient gagné moins de 1 shill, et deux cent-trente-trois n’avaient pas travaillé de toute la semaine. Telles sont les ombres qui obscurcissent les splendeurs de la civilisation, et qui doivent nous rendre modestes, moins prompts à nous vanter de nos progrès.

Cependant le progrès naturel de la civilisation a fait sentir son influence dans ces bouges infects comme dans les plus élégans quartiers, et Clerkenwell n’est plus tout à fait ce qu’il était autrefois. Les vols y sont plus rares et les criminels moins nombreux. Jadis le chiffre des victimes qu’il fournissait à la potence était si énorme, qu’il avait été surnommé « la garenne de Jack Ketch (la garenne du bourreau). » La police s’y hasardait rarement, et quand elle s’y engageait, elle marchait en grand nombre et armée jusqu’aux dents. Les luttes entre les criminels et les constables y étaient fréquentes et sanglantes. Le quartier de Clerkenwell conserve le souvenir de cette époque, à laquelle se rattachent quelques légendes sinistres. On se rappelle encore cette femme qui, condamnée à la potence pour avoir mis en circulation de faux billets d’une livre sterling, trouva moyen de s’introduire dans l’œsophage un petit tube en argent, échappa de cette façon à la mort, et fut rendue à ses amis les faussaires et les faux-monnayeurs. Ce quartier avait aussi ses lieux de rendez-vous célèbres où se réunissaient les voleurs, et l’un des plus renommés était le cabaret du Cerf Blanc, aujourd’hui disparu. Le gouvernement était pour ainsi dire complice des voleurs, car, sous l’ancien système de police, les frais de poursuite étaient si considérables, qu’on ne cherchait à saisir les coupables que dans le cas où