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le vice qui absorbe en lui tous les autres. Le mendiant anglais boit comme le gentleman; seulement le gentleman a d’autres passions qui l’affranchissent de ce joug honteux, tandis que le mendiant n’a et ne peut avoir que celle-là. L’intempérance, c’est le vice profondément enraciné, inguérissable du peuple anglais. L’ignorance peut se dissiper, et une fois qu’elle est dissipée, elle ne revient plus : tous ces sauvages sans religion pourront un jour se convertir; l’intempérance, quelque remède qu’on applique, ne perdra jamais ses horribles droits. Si M. Vanderkiste n’a guère accompli que des demi-conversions, combien cela est plus vrai de l’œuvre des sociétés de tempérance ! Dans le chapitre qu’il consacre à l’intempérance, M. Vanderkiste cite deux ou trois exemples de conversions qui sont toujours suivies de rechutes terribles. Deux époux qui pendant de longues années avaient été adonnés à l’ivrognerie se convertirent aux doctrines de la société de tempérance, et à partir de ce moment une amélioration sensible eut lieu dans leur condition. Les années s’écoulèrent, on pouvait les croire bien décidément corrigés, lorsqu’un jour ils eurent un instant de tentation qui fut plus fort que leur courage. Ils recommencèrent à boire, sobrement d’abord; mais bientôt l’ancienne habitude reprit toute sa puissance. Le linge fut vendu, les meubles mis en gage; la détresse et la misère revinrent. Leur intempérance ne fut plus comme autrefois libre de soucis; les remords l’escortèrent, et les deux époux se rejetèrent mutuellement la responsabilité de leur nouvelle misère. Un jeune homme qui logeait au-dessous de leur chambre, et dont leurs querelles nocturnes troublaient fréquemment le sommeil, surprit un matin un bruit sourd; saisi d’un funeste pressentiment, il monta et ouvrit la porte. Il arriva assez à temps pour sauver la vie à la femme, qui s’était pendue de honte et de désespoir au chevet de son lit. L’histoire d’une pauvre femme de taille colossale, amazone en guenilles, qui s’enivrait du matin au soir, et qui, une fois en état d’ivresse, brandissait son balai sur tous ceux qui l’approchaient, est du même genre. Elle eut honte de ses vices, de- vint une teetotaller et une fervente habituée des meetings de tempérance. Cet état de grâce dura plusieurs années, au bout desquelles M. Vanderkiste la rencontra une fois ivre morte, saisie de froid, le visage couvert de sang et entourée d’une haie de mendians et de voleurs. On pourra se faire une idée des ravages de cette passion, si l’on sait que d’après les calculs de lord Shaftesbury les classes laborieuses de l’Angleterre dépensent annuellement en bière, esprits et tabac une somme de 50,000,000 st, et que la seule ville de Londres compte 11,000 cabarets, tandis qu’elle ne possède que 2,500 boulangers et 1,700 bouchers.

La charité, la bienfaisance, l’instruction religieuse, sont donc, on