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On lui attribue encore quelques ballades qui n’ont guère de caractère. Pour moi, je lui attribuerais plus volontiers les Repues franches de Villon ; la coupe des vers, la tournure du style, bien des expressions et une certaine harmonie propres à Coquillart[1], — tout cela, joint à quelques détails caractéristiques, m’a à peu près persuadé que cet ouvrage ne pouvait être que de lui.


II. — LA COMÉDIE HUMAINE À LA FIN DU XVe SIÈCLE.

Nous connaissons le poète ; pénétrons dans son œuvre, et demandons-lui quelle était cette société bourgeoise et corrompue qui devait enfanter l’âge moderne.

Le Dieu de ce monde au milieu duquel nous mène le poète bourgeois, c’est nécessairement l’amour, — non point cet amour des temps chevaleresques, l’amour au cœur de lyon, au cœur d’agnel, héroïque au milieu des aventures guerrières, ailleurs humble, doux et courtois, sensuel sans doute, mais fidèle jusqu’à la mort. Iseult la blonde et la belle Maguelonne, la douce Grisélidis, sa sœur passionnée la châtelaine de Vergi et toutes leurs gracieuses compagnes se sont endormies au départ des chevaliers de la dernière croisade, et peut-être attendent-elles pour se lever le retour si longtemps espéré du roi Arthur et de l’enchanteur Merlin. Marot, avec sa poésie gentille, essaiera de réveiller les plus légères de leurs sœurs, et sans doute elles étaient dignes d’entendre la divine musique de Ronsard, le roi des poètes ; mais ce n’étaient point là les amours qui avaient frappé Coquillart. Il n’avait non plus ni vu ni entendu cette sorte de misérable passion qui constitue la poétique des amans de ce temps-ci ; il n’eût point compris ces sophismes qui se trempent si laborieusement dans les larmes pour briller au soleil de la rhétorique, et il eût singulièrement raillé cette fièvre d’impuissance qui descend jusqu’au suicide pour y chercher une preuve de vigueur. Ce qu’il nous

  1. Nous croyons devoir rassembler ici, dans un résumé bibliographique, nos indications sur l’œuvre littéraire de G. Coquillart. Cet œuvre comprendrait : 1o Le Playdoyer d’entre la Simple et la Rusée ; — 2o l’Enqueste d’entre la Simple et la Rusée ; — 3o les trois Monologues du Puys, de la Botte de Foing, du Gendarme Cassé, autrement appelé le Monologue des Perrucques ; — 4o les Droits nouveaulx ; — 5o le Blason des Armes et des Dames ; — 6o trois ballades avec les réponses à deux de ces ballades. — Il est probable que le poète de Reims pourrait revendiquer encore quelques-unes de ces petites pièces vives et satiriques qui pullulent vers la fin de ce siècle. Nevizan dans sa Sylva Nuptialis, Hotman dans le Matago de Matagonibus, La Croix du Maine dans sa Bibliothèque, lui attribuent deux ou trois de ces pièces sans apparence de raison. Pour nous, il nous suffira d’avoir indiqué l’air de parenté très rapproché que nous avons trouvé entre les œuvres authentiques de Coquillart et deux ouvrages anonymes, — le Mystère de la Vengeance de Notre-Seigneur et les Repues franches de Villon.
    Coquillart fut imprimé pour la première fois, selon toute probabilité, en 1491. Pendant toute la première moitié du XVIe siècle, les éditions de ses œuvres se succédèrent à bien peu d’intervalles. Les plus importantes sont celles de 1522, 1525, 1532 et 1535. L’édition que publia Urbain Coustelier en 1722 était jusqu’ici la seule qui fût un peu répandue dans le public ; elle est néanmoins de beaucoup inférieure à celle que M. Tarbé a publiée à Reims en 1852, avec une intelligence parfaite tant de l’époque que du poète.