Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/53

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conviction ; beaucoup au contraire, surtout parmi ceux qui se joignirent à elle postérieurement à sa fondation, auraient préféré une monarchie représentative à une république, et s’ils acceptaient la dernière, c’était par sentiment de l’impossibilité pratique où l’on se trouvait de proposer autre chose. D’autres s’inquiétaient surtout de ce grand point principal, l’indépendance de l’Italie, et pour y atteindre, ils étaient prêts à accéder à toute forme de gouvernement, quelle qu’elle fût. On peut comprendre, cela étant expliqué, comment il arriva que lorsqu’en 1848 Charles-Albert accorda une constitution et rompit ouvertement avec l’Autriche, ce qui restait de l’association se divisa en deux fractions. L’une, qui se composait des deux élémens que nous venons de mentionner, se rallia autour de l’étendard du roi constitutionnel, champion de l’indépendance nationale, tandis que l’autre, le parti républicain, s’abstint de prendre part au mouvement, et même se déclara contre lui, parce qu’il était dû à l’initiative d’un roi et qu’il était commandé par un roi. »

Tout marcha bien pendant un temps. Le comité-directeur de Marseille applaudissait de loin à l’œuvre et l’encourageait activement. Les équipages des vaisseaux marchands de Gênes qui faisaient commerce à Marseille étaient tous soigneusement endoctrinés, et transportaient en Italie des ballots de pamphlets et de brochures politiques que les clubs de la société distribuaient dans l’intérieur du pays. On avait aussi pratiqué des intelligences dans l’armée piémontaise, par l’entremise d’un jeune officier d’artillerie nommé Vittorio, beau garçon de vingt-deux ans, héros taillé en Hercule, chrétien fervent et égaré qui cherchait dans les sociétés secrètes et la république les moyens de réaliser sur la terre les préceptes du Nouveau Testament. La propagande fit naturellement de nombreuses recrues dans une armée aristocratiquement constituée. Par ce moyen, on était sûr de ne pas manquer d’armes et d’entraîner dans un mouvement révolutionnaire, ayant pour mots d’ordre Italie et indépendance nationale, au moins une partie de l’armée piémontaise ; mais ces succès si rapides avaient bien leurs revers, en attendant les catastrophes sanglantes, et Lorenzo raconte d’une manière assez sceptique, et sur le ton d’un homme quelque peu désabusé, les désagrémens de sa vie de conspirateur.

« Avez-vous jamais vu une de ces décorations de théâtre dont l’effet est si frappant à distance, mais qui, vues de près, n’offrent plus à l’œil que des trous, des pâtés de couleurs difformes, et des coups de pinceau qui semblent avoir été donnés au hasard ? Il en est de même jusqu’à un certain point d’une conspiration. Vue à distance et d’ensemble, rien n’est plus frappant et plus poétique que cette puissante réunion de volontés et de forces poussées par une même impulsion et se dirigeant dans les ténèbres, à travers des difficultés