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naïf et aveugle. C’est là ce qui explique toute la vie de Coquillart : il a écrit pour le peuple, et sa poésie est un des plus accomplis modèles de la poésie bourgeoise. Toutefois quelques-unes de ses qualités ne sont pas l’attribut exclusif de cette sorte de poésie, et on a pu remarquer en lui, ce qui est commun à bien des écrivains du moyen âge, une grande habileté de versification et cette singulière facilité de style qui naît de la vivacité de l’esprit et de l’activité de la mémoire. Ces qualités font qu’il n’y a pas un seul mot de perdu pour la gaieté, que les moindres détails sortent de l’ensemble tout en s’y confondant, et malgré leur brutalité arrivent parfois à l’élégance par leur vive naïveté et leur vérité brillante. Ce style encadre d’une charmante façon tous ces lestes et jolis tableaux, ces contes si vifs, si pleins de naturel et de franchise, ces scènes d’intérieur tracées avec une finesse d’observation parfaite, enfin ces détails particuliers et ingénieux propres à chaque état et à chaque caractère. C’est bien là la littérature facile à croire, difficile à faire, dont La Fontaine paraît avoir eu seul le secret depuis le moyen âge. On peut dire de l’écrivain rémois qu’il a vraiment le génie de la forme légère, l’instinct d’une harmonie particulière comparable à la musique dansante. Jamais homme n’a mieux dépeint d’un mot, mieux fait un tableau d’une phrase. Tout ce qu’il dit saute aux yeux ou se laisse toucher du doigt, et chaque personnage est peint d’une manière grotesque sans doute et joyeuse à voir, mais saisissante, impossible à méconnaître : aucune des nuances d’un sentiment naturel et ordinaire ne lui échappe. Il est par-dessus tout un homme d’un esprit infini, et pourtant, chose peu commune, cette exubérance d’esprit lui permet toujours la simplicité dans l’analyse. Enfin il joint deux qualités bien opposées, la naïveté de l’esprit et la raillerie, la gentillesse et l’âpreté.

Pourtant ce ne fut point à tout cela qu’il dut son bonheur et sa gloire, et ce n’est pas dans ces qualités que nous trouvons sa véritable originalité. Ce qui le recommande à ses contemporains, c’est, avons-nous dit, qu’il fut un bourgeois écrivant pour des bourgeois sur des sujets exclusivement bourgeois, composant ainsi une littérature avec les instincts, les inspirations, les idées, les préjugés, la vie journalière de la bourgeoisie. Cette espèce de littérature est unique dans notre histoire littéraire ; c’est à ce titre qu’elle réclamait pour la vie de Coquillart une étude approfondie, et qu’elle réclame pour elle-même une analyse sérieuse de sa méthode et de ses procédés.

Le poète rémois touchait à tous les ordres de la bourgeoisie, et il écrit pour eux tous, aussi bien pour celui qui tient au menu peuple que pour les puissantes familles de l’échevinage et pour le clergé. Aussi possède-t-il quelques-unes des qualités de la littérature populaire, la vie, l’activité, la personnalisation, l’invention des masques et des caractères fictifs, en même temps qu’il présente les caractères de la littérature plus particulièrement bourgeoise, le goût de la dramatisation, un art naturel de mise en scène et l’observation des alentours ; mais il faut reconnaître que c’est de cette dernière qu’il se rapproche le plus souvent. Il est vraiment le bourgeois écrivant. Il n’est pas devenu littérateur de métier, il écrit plutôt avec spontanéité qu’avec art, plutôt avec sa nature qu’avec science et un travail constant. Il avait conservé son caractère et le mettait tout entier dans ses écrits. Vif et actif, il ne pouvait s’arrêter que rarement à regarder une idée sous toutes ses faces, et jamais à la résumer. C’était une nature aisément accessible à certaines