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marchandise, de la cuisine, etc., mais surtout de l’art judiciaire. Beaucoup de ses plaisanteries sont basées sur les mots et axiomes du droit, et son style ressemble tantôt aux vives répliques de l’avocat, tantôt aux graves délibérations couchées sur les registres de messieurs les conseillers de ville.

C’est du reste dans la recherche fréquente, dans le grossier et ultra-naïf arrangement des comparaisons et des images qu’il faut chercher son principal défaut. Parfois sans doute ces comparaisons s’élèvent ; ainsi il comparera la guerre à un couvent, et la Guerre dira :

Mes moyne, portent haulberjon
En leur grant messe, au lieu de froc.
Leur cloistre, c’est quelque donjon
De pierre, juché sur un roc ;
Tirer, lutter, jouster au croc
Sont les cérimonies et signes ;
Un coup d’espée, taille ou d’estoc.
C’est la bénéisson des matines.
Leurs orgues, ce sont serpentines
Qui s’en vont vif comme le vent ;
Les gros boullets à couleuvrines.
Ce sont les miches du couvent.
Le grand prieur de Passe-avant
Et l’abbé d’Eschappe-qui-peult
Les viennent visiter souvent ;
Mais ne les a pas qui veult.

On le voit, il manque toujours de simplicité, et il succombe à cette prétention qui est propre, il faut le dire encore, à l’esprit bourgeois parvenu à conquérir un auditoire, des admirations, une position dans le monde savant ou littéraire. Il ne se laisse pas aller comme les écrivains bourgeois de la Flandre à la gravité pédante, au style magnifiquement empesé et traînant ; mais il est possédé par ce besoin de ne pas parler comme tout le monde, de trouver des élégances, des figures de langage destinées à frapper d’admiration les coteries de petite ville, et quand à grand’peine il a trouvé ces comparaisons, il les croira si précieuses, qu’il ne les lâchera pas avant de les avoir épuisées. Il use souvent aussi fort naïvement d’une forme de style, l’énumération, et ces énumérations ne sont autre chose la plupart du temps qu’une analyse du cœur d’après une formule reçue qui, vivement et avec concision, place à la suite l’un de l’autre tous les sentimens réveillés ou créés par un fait :

Armes font croistre cœurs joyeulx
Et multiplier en lyesse ;
Aux robustes, aux vertueux
Augmentant force et hardiesse ;
Aux magnanimes, la proesse.
Aux confédérés, l’alliance,
À courages haulx, gentilesse,
À gens résolus, asseurance.
Aux constans, la persévérance.
Aux larges, libéralité.
Aux rudes, prompte intelligence.
Engin cler, et subtilité, etc.