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à l’époque de 1830, semblent depuis complètement oubliées. Les défrichemens et le déboisement, qui suivent la présence de l’homme dans une contrée, ont pour effet de dessécher le terrain, de dénuder les coteaux et les plaines élevées de leur terre végétale, et par suite de rendre stériles de grands espaces qui produisaient naguère de riches moissons, ou qui nourrissaient des bestiaux nombreux. Aristote signale de son temps le territoire d’Argos comme desséché par une culture trop exigeante. Celui d’Athènes, précédemment trop humide et trop marécageux, lui paraît être dans les meilleures conditions possibles de fertilité et de richesse productive. Il pronostique l’époque où les champs d’Athènes seront à leur tour semblables à ceux d’Argos, desséchés et épuisés par la culture. Il y a longtemps que sa prédiction s’est vérifiée et qu’ont disparu de cette belle Attique, suivant les strophes d’Euripide, même les fleuves sur les bords desquels Vénus enfantait la blonde Harmonie.

Tout le monde a vu, sous le dernier règne, avec quel soin les forêts de l’état, et notamment les bois qui avoisinent Paris, ont été repeuplés d’essences diverses dans toutes leurs clairières un peu considérables. Un décret récent a pourvu au boisement et à la fixation des dunes du bassin d’Arcachon, près de Bordeaux, c’est-à-dire à la conquête de plusieurs milliers d’hectares. Le travail du planteur et en général l’arboriculture n’offriraient donc à des militaires convenablement embrigadés rien de pénible ou de répugnant. Mais pour sortir des généralités et revenir à cette fertile Normandie, qui fait l’admiration des cultivateurs anglais (les premiers cultivateurs du monde) arrivant des districts les plus productifs de leur île, je choisirai les coteaux dénudés qui dans le voisinage de Pont-Audemer, le long du cours de la Rille, affligent les regards par la plus triste absence de toute végétation. Imaginons sur leurs crêtes un système de fossés ou de tranchées formant une lisière de quelques dizaines de mètres seulement ; qu’au moyen de terres rapportées, s’il le faut, d’amendemens et surtout de clôtures, un fourré continu d’arbres et de buissons couronne toutes ces hauteurs : alors les terrains inférieurs, soustraits à la vaine-pâture, recevront peu à peu des semences ; il se formera une nouvelle couche de détritus de plantes ; les eaux pluviales, arrêtées dans leur course trop rapide, fertiliseront les flancs de la colline, au lieu d’en entraîner la terre végétale. Les sources taries par le déboisement reparaîtront, et l’action desséchante du vent, paralysée par les arbres, laissera reprendre à la contrée l’aspect qu’offrent maintenant les plus heureuses vallées de ce riche pays.

À partir de Rouen peut commencer l’étude de ce que produisent tous les agens physiques dans le vaste domaine de la nature vivante