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Conquérant, répondit qu’on « avait récemment retrouvé les canons de ce fameux guerrier. » Il n’y a donc pas de maîtres d’école en Normandie !

Encore quelques mots sur Lillebonne, cette belle perspective de Quillebœuf, lequel sert de même aussi de perspective à Lillebonne. ici l’abondance des produits de la terre et des manufactures rivalise avec l’abondance des produits des côtes et de la pêche dans l’autre localité. Une jolie église élève vers le ciel une élégante flèche en pierre dont la teinte est celle du marbre blanc. Cette petite basilique, peu riche d’ornemens, contient une seule sculpture qui représente en bas-relief une descente de croix d’une admirable composition, où l’art du statuaire atteint, pour le dramatique, aux effets de la peinture ; mais nous devons nous borner ici à considérer les effets des agens physiques sur les populations humaine, animale, végétale et minérale, ces quatre grandes existences du monde. Un de mes compagnons de voyage, qui a vu à loisir l’Italie, visitait avec nous l’immense théâtre romain de Lillebonne, où trente mille spectateurs pouvaient trouver place, et qui, comme beaucoup d’autres, a servi de forteresse au moyen âge ; il ne le trouvait point inférieur à ceux de l’Italie et de la Gaule romaine. On admire les exploits de Jules-César, qui donna son nom à Lillebonne (Juliobona), et qui eut l’insigne honneur de vaincre trois millions d’hommes et d’en tuer un million. Les Romains sont en général admirés pour le grandiose des constructions qu’ils nous ont laissées ; mais on prend leurs monumens en horreur, quand on se rappelle leurs guerres d’extermination, les populations entières réduites en esclavage et vendues pour enrichir les trafiquans romains qui faisaient la traite à la suite des armées envahissantes, quand on pense surtout à l’argent que fit César en Gaule, dans un pays pauvre, par la vente de nos ancêtres vaincus. La condition des esclaves publics appartenant aux villes, servi publici, était cent fois plus triste que celle des malfaiteurs condamnés aux travaux forcés de Brest, de Rochefort et de Toulon. Qu’on se figure le sort des habitans d’une ville grecque située dans un beau climat, avec les jouissances d’une vie délicate, les représentations théâtrales, la peinture, la sculpture, la poésie, la contemplation de la nature et le culte des divinités mythologiques ! Ils sont conquis et vendus par un général romain ignorant et avide, soit pour lui, soit pour le trésor public ; ils sont envoyés au fond de la Gaule, encore sauvage de mœurs et de climat, pour y périr en bâtissant des monumens splendides, toujours aux fers, avec huit bouchées de pain par jour, parqués dans une prison infecte ! Le théâtre immense de Lillebonne n’est pas encore déblayé, et les explorateurs des anciennes races humaines, sous la bannière du savant M. Serres,