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et dont M. Meyerbeer s’est parfois servi en grand maître. Il serait dommage qu’un musicien aussi distingué que M. Gevaërt employât son talent à rééditer des lieux-communs.

Après la musique de M. Gevaërt, ce qu’il y a de plus intéressant dans le Billet de Marguerite, c’est l’apparition d’une nouvelle cantatrice qui, fort heureusement pour son avenir, a échappé aux ovations de la presse. Mme Deligne-Lauters est une Belge aussi, élève du conservatoire de Bruxelles, et que le hasard, plus que la vocation, a conduite au théâtre. Sa voix est un mezzo-soprano assez étendu, d’un timbre agréable et suffisamment sonore. Elle chante avec beaucoup de sentiment, et vise même au style par de fréquens portamenti qui n’ont pas toujours leur à-propos, mais dont l’exagération ne messied pas à une débutante. Mlle Deligne-Lauters chante un peu comme une jeune fille qui jouerait à faire la dame, et qui veut s’exprimer toujours avec dignité et con impegno. L’expérience et l’habitude de la scène la corrigeront de ces légères dissonances, et il restera à M’"‘" Deligne-Lauters ce qui n’est pas commun, l’instinct et le sentiment d’une cantatrice. Nous la signalons à M. Meyerbeer.

Le Théâtre-Italien a bravement ouvert la campagne par la Semiramide de Rossini, où Mme Bosio dans le rôle de la reine de Babylone, Mme Borghi-Mamo dans celui d’Arsace, et M. Gassier sous le costume d’Assur se sont produits pour la première fois. Mme Bosio, que nous avons déjà entendue à l’Opéra, est une jeune et brillante cantatrice, dont la voix de soprano aigu n’a peut-être pas assez de puissance pour le rôle important de Semiramide. D’ailleurs il manque aussi à Mme Bosio un certain charme, quelque chose de communicatif qui achève l’émotion. Mme Borghi-Mamo ne possède pas un véritable contralto, mais une voix de mezzo-soprano qui ne manque pas de souplesse, bien qu’elle soit dépourvue de la sonorité nécessaire pour rendre avec énergie le rôle d’Arsace. La cantatrice y a été faible et n’a pas réalisé les espérances qu’avait fait concevoir sa réputation. M. Gassier au contraire est un ancien élève du conservatoire de Paris, qui a eu le bon esprit d’aller apprendre en Italie l’art de se servir d’une très belle voix de baryton. Cette voix sonore s’est assouplie de manière à faire presque illusion sur le pays qui l’a vu naître, et il a chanté le rôle très difficile d’Assur avec beaucoup de brio et d’assurance. Il a été moins heureux dans celui de Figaro du Barbier de Séville, où il n’a pu dissimuler entièrement qu’il était étranger à la langue de cette musique fluide et lumineuse. Mme Gassier, sa femme, qui débutait dans le rôle de Rosine, est une Espagnole pur sang qui chante comme une Italienne avec une bravoure étonnante ; mais si Mme Gassier s’élance intrépidement sur les notes les plus aiguës, qu’elle attaque sans sourciller, c’est un peu aux dépens de la grâce, de la justesse, qui n’est pas toujours irréprochable, et surtout du style, dont elle semble ignorer les secrets. Tous ces tours de gosier peuvent exciter un instant la surprise et convenir dans une cabaletta à la Verdi, comme celle que chante Mme Gassier pendant la leçon de chant ; mais il faut des choses moins surprenantes et plus difficiles pour captiver le public parisien. Après le Barbier de Séville, dont l’exécution générale a laissé beaucoup à désirer, on a donné Otello, avec Mlle Frezzolini dans