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Les poésies intimes du chantre d’Excelsior rappellent souvent la manière de Wordsworth, au point de justifier l’empressement avec lequel certains rewievers anglais ont salué dans l’auteur un compatriote. Parmi les domestic poems, nul n’est plus fameux que l’Horloge de l’escalier (the old Clock on the stairs), et chez nos voisins d’outre-Manche n’échappe pas qui veut aux illustrations sans nombre que l’on en a faites et aux élucubrations musicales moins inoffensives qu’on en a tirées. Nous voudrions pouvoir introduire le lecteur dans ce vieux manoir (il y en a donc jusque dans cette démocratique Amérique ?) où génération après génération a vu l’antique horloge dont il est question, et où les heures, les jours, les années de la vie du poète se sont mesurés sur le monotone bruit de son balancier.


« Non loin de la rue du village s’élève le manoir d’antique date. Sur sa porte d’entrée de grands peupliers jettent leur ombre, et de sa place sur le palier une ancienne horloge dit à tous les habitans : pour toujours, jamais ! Jamais et pour toujours !

«A mi-chemin de l’escalier, la voilà, de ses longs doigts faisant des signes mystérieux dans sa lourde cape de chêne massif, tout comme un moine qui, sous son manteau de bure, fait le signe de la croix, et soupire, et d’une voix lugubre dit aux passans : pour toujours, jamais! Jamais et pour toujours !

« Le jour, la vieille horloge a un son assez doux; mais dans le morne silence de la nuit sa voix se détache distinctement comme un pas qui marche, réveillant l’écho dans les salles désertes. Sur les plafonds ainsi que sur les planchers ce pas court partout, et à la porte de chaque chambre semble dire : Pour toujours, jamais! Jamais et pour toujours!

« A travers les jours et de peine et de joie, à travers ceux de mort et ceux de naissance, à travers les vicissitudes rapides du temps, qui perpétuellement varie, elle seule est demeurée invariable, répétant sans cesse ces paroles solennelles : pour toujours, jamais ! Jamais et pour toujours!

« Jadis dans cette demeure trônait l’hospitalité; de grands feux grondaient dans les cheminées, et au festin tout étranger trouvait sa place; mais, semblable au squelette des banquets fabuleux, ce symbole du temps qui fuit avertissait sans cesse : pour toujours, jamais ! Jamais et pour toujours !

« Là jouaient et riaient des groupes d’enfans; là des jeunes filles écoutaient, rêveuses, les propos amoureux des jeunes gens; de cette chambre sortit, vêtue de blanc, la fiancée lors de la nuit nuptiale, et en bas, dans cette grande pièce silencieuse, des morts se sont couchés dans leur linceul de neige. Puis, dans le silence qui succède à la prière autour du cercueil, on distinguait la voix de la vieille horloge : pour toujours, jamais! Jamais et pour toujours!

« Tous sont dispersés à cette heure, les uns mariés, les autres morts, — et quand avec une tristesse amère je demande : Où et comment se retrouveront-ils ? les jours du passé, les verrons-nous revenir ? — l’antique penduler répond : pour toujours, jamais ! Jamais et pour toujours !

« Ici jamais! — et pour toujours, là où plus n’est question de souffrance ni de souci, de séparation, de mort ni de temps. Pour toujours là, mais jamais ici ! L’horloge de l’éternité s’en va le redisant incessamment : pour toujours, jamais ! Jamais et pour toujours ! »