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sérénade du gitano. (Il tire.) Bien! bien! ma belle carabine! Bien sifflé, ma balle! (Il regarde au fond du ravin.) Je l’ai manqué ! Oh! mon Dieu ! (on entend un second coup venant de l’autre côté. — Bartolomé tombe.)


La conduite de cette scène, dont j’ai dû nécessairement abréger quelques détails, me paraît aussi ingénieuse que pleine d’intérêt dramatique. Ce défilé mystérieux, dont les profondeurs cachent un dénoûment que l’écho seul nous révèle, est d’un effet heureux et original à la fois. Quel que soit cependant le mérite du drame de Longfellow, ce n’est pas vers le théâtre qu’il nous semble appelé par la nature de son talent. Je ne sais trop si je dois citer la Légende dorée comme une preuve de ce que j’avance, car j’hésite quelque peu, je l’avoue, sur la classification à donner à ce dernier venu des ouvrages du poète américain. Poème ou légende, cette composition se rattache, par la mise en scène des personnages et l’économie générale, à la série des œuvres romantiques de M. Longfellow. Je n’en parle du reste que pour mémoire, et pour ne rien omettre de ses écrits. Il n’est guère de poète qui ne se soit passé quelque fantaisie de ce genre. On a rêvé de la cathédrale de Strasbourg ou de Cologne; on se souvient du prologue de Faust, et, le dilettantisme aidant, le mystère s’accomplit à peu de frais. Fantaisie à la manière de Callot, disait l’humoristique Hoffmann. Qu’il s’agisse de Callot ou de Goethe, ces sortes de fantaisies sont toujours à la manière de quelqu’un, et n’ont en somme rien à nous apprendre sur l’originalité de l’écrivain. C’est sans doute un rare plaisir d’entendre un grand maître improviser au piano, inventer tour à tour du Weber, du Beethoven, du Meyerbeer. Les plus habiles s’y trompent parfois, mais après qu’en reste-t-il ? — Le Golden Legend est à mon sens une invention de ce genre; c’est un caprice de l’écrivain plutôt qu’un pas nouveau dans sa carrière.

Le roman philosophique, tel que l’ont compris certains grands esprits allemands, tel, il faut l’avouer, que ne l’admet aucune de nos combinaisons littéraires en France, voilà, je pense, le but où tendront de plus en plus l’expansivité intellectuelle et les facultés créatrices de l’auteur d’Hypérion; mais à ce propos déjà le mot de création demande qu’on l’explique. Nous attachons en France l’idée d’invention trop exclusivement peut-être à ce qui ressort du domaine des faits, ou pour le moins aux phénomènes psychologiques que telle ou telle succession de faits peut produire dans un caractère donné. Des physionomies saillantes et des incidens dramatiques, c’est là ce qui chez nous constitue le roman proprement dit; nul doute aussi que ce ne soient là ses matériaux les plus évidemment naturels. Cependant il existe en Allemagne et en Angleterre un système de roman tout différent de celui-ci, dont l’invention se tire de sources absolument opposées, et qui pourtant parvient à exciter