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nous préserve du choc trop rude des grossières réalités de la vie, et nous sert de trait d’union avec ce qui est immortel et infini.


« La mort n’est ni le commencement ni la fin, dit Longfellow. Ce n’est nullement une transition d’une vie à une autre, c’est la transition d’une forme d’existence à une autre forme. La vie est toujours, et aucun anneau n’est brisé dans le perpétuel enchaînement de l’être pas plus que lors du passage de l’enfance à la maturité, de la maturité à la vieillesse. Il y a des momens de torpeur de l’âme où la forme que vous connaissez existe encore, mais que, moi, je n’envisage pas moins comme autant de morts. Contemplée de ce. point de vue, quelle magnifique chose pourtant que la vie de l’homme, et de quelle splendeur se revêt la destinée! Je suis, tu es ! conjugaison d’écoliers, dites-vous ; — non pas! symbole au contraire de l’éternel présent, de la vie! Autour de nous qu’y a-t-il ? Il y a, quoi qu’en ait l’individu, une vaste union de tous, car nul ne peut travailler pour lui seul. Tous ceux qui dans l’humanité ont été grands, bienfaisans, illustres, tous ont travaillé pour moi, et à cette heure, moi, j’entre dans le champ de leur moisson, je reprends leur tâche là où ils l’ont abandonnée; j’avancerai leur besogne, puis à mon tour je serai appelé, et la quitterai. Jamais je ne puis achever l’œuvre, et cette œuvre étant ma destinée, jamais je ne puis cesser d’être. Ce que l’on appelle la mort n’interrompt et ne change rien; la tâche continue incessamment, et aucune fin ne m’est imposée. La destruction n’atteint que cet atome de poussière qui, sous le nom de corps, s’associe à mon âme; — mais mon âme, ma volonté dure, — moi je subsiste, je suis. »


N’est-ce point là cette glorification du présent que nous indiquions tout à l’heure ? Cette religion de l’activité humaine, nous n’entreprendrons point de la discuter en tant que doctrine philosophique; la laissant aux appréciations de chacun, nous nous contenterons de constater son existence, d’y voir le principe inspirateur de Longfellow, la marque distinctive de sa nationalité américaine ainsi que la moralité du roman d’Hypérion. Quand le héros du livre, Flemming, voit s’écrouler à jamais ce qu’il nommait le bonheur, il se retourne vers le devoir, et, demandant quel il est, répond : le travail. « Le regret remplissait son cœur, regret de ses années perdues plus que de ses espoirs déçus. Il avait soif d’activité, et n’aspirait qu’à créer quelque chose qui durerait, — qu’à tirer des innombrables formes éphémères de la vie une seule qui devînt permanente et pût vivre réellement. » — Il faut noter encore, avant d’entrer dans les détails du sujet d’Hypérion, d’austères et saines paroles sur l’utilité de la souffrance, comme amenant l’homme plus vite à se débarrasser des fictions terrestres et à se dévouer plus entièrement à ce qui seul est digne de lui :


« Le grand mot de tout, c’est renoncement; mais qu’il est difficile à dire!... Désappointement ! ta main est froide et rude, mais c’est une main d’ami. Ta voix est dure et rauque : — voix d’ami aussi pourtant ! Oh ! oui ! la patience