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Le Siège de Florence est très supérieur à la Bataille de Bénévent. Dans ce roman, M. Guerrazzi, il est vrai, touche aux plus grands souvenirs de l’histoire florentine. À ce sublime dévouement d’un peuple qui s’ensevelit dans la gloire, il n’a manqué qu’un poète capable de rivaliser avec Homère ou Dante. Qui dira pourquoi la cause des vaincus n’a encore trouvé de vengeurs que parmi les historiens ? On peut noter plus d’une page éloquente dans le Siège de Florence ; il est à regretter seulement que l’histoire ne soit pour l’écrivain, comme toujours, que l’accessoire : les déclamations, voilà le principal. Heureusement la passion politique anime des tirades un peu trop multipliées. Toscan, M. Guerrazzi aime et célèbre les héroïques défenseurs de sa patrie ; il gémit sur leur défaite, dont Florence ne s’est jamais relevée ; il maudit les traîtres qui l’ont vendue, les impies qui l’ont achetée ; il arrive à être parfois réellement ému, et parfois aussi il communique son émotion. On lui sait gré de ce qui perce de naturel à travers son enflure ordinaire. Une citation fera mieux comprendre les défauts et les qualités de l’ouvrage de M. Guerrazzi. Je prends l’introduction du Siège de Florence. Ce morceau contient la pensée-mère du livre ; il nous fera connaître la disposition d’esprit où était l’auteur quand il l’a composé.

« Tu es seule, ô mon âme ! n’essaie pas de te tromper toi-même ; élève la voix et laisse éclater tes sanglots. La patience ! oh ! la patience est chose dure ; elle convient mieux à la brute qu’à l’homme ; fais donc un fouet de cette chaîne spirituelle pour en frapper tes oppresseurs au visage. Les puissans de la terre te flagellent avec des verges de fer ou même avec des scorpions[1] ! Emploie contre eux les verges de ta patience exaspérée. Ose ! David triompha avec la fronde, et tes ennemis ne sont pas des géans, ou tout au plus ils sont des géans de folie. Si tu exhales tes plaintes, ce n’est de ta part ni colère, ni lâcheté : c’est que le malheur s’appesantit chaque jour davantage sur la race mortelle. Quand le stoïcien lève la tête et dit : « Je n’ai jamais pleuré, » il se ment à lui-même. Parce que des larmes n’ont pas coulé de ses yeux, affirmera-t-il, le superbe, qu’il n’a jamais pleuré ? Est-ce que, sous la surface glacée du fleuve, l’eau court moins rapide vers la mer ? Tout pleure ici-bas ; chaque jour, la nature verse des larmes,— la rosée des cieux,— sur les misères de la création. Gémis, gémis, ô mon âme ! Les muses, les génies, les fées, Apollon, ne sont plus. La douleur, qui, avant eux, inspirait les chants des hommes, la douleur, qui survit aux tombeaux, la douleur, qui ouvre et ferme les portes de la vie, la douleur, qui mesure le temps, — voilà l’éternelle, voilà l’unique muse de l’homme.

« Depuis bien longtemps déjà j’ai appris à me tenir en garde contre les espérances humaines. Je vis au milieu des hommes, mais je ne leur demande rien ; d’eux je n’espère, je ne crains rien. Mortels, que pourriez-vous me donner ? Votre haine ? la prison ? l’exil ? Tout cela, je l’ai reçu de vous. Ç’a été comme la pierre que le fou lance en l’air et qui lui retombe sur la tête. Votre compassion ? Oh ! buvez cette coupe de vinaigre et de fiel ; je puis supporter votre haine, mais non votre pitié ; gardez-la pour vous-mêmes, car comme

  1. Pater meus cecidit vos flagellis, ego autem cœdam vos scorpionibus. (Reg., l. III, cap. 12, v. 11.)