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l’écrivain; mais peu lui importe sans doute la critique : elle n’est point entrée en champ-clos dans le dessein de faire une vaine parade, elle s’y précipite la lance en arrêt, la visière baissée, et bien résolue à livrer un combat à outrance. L’ennemi qu’elle se propose de terrasser, c’est la funeste négligence que la société porte dans l’éducation des femmes. De là viennent selon l’auteur de Palmyre, tous les malheurs conjugaux. De là vient même, à l’en croire, cet abaissement moral, cette décadence universelle qu’il n’est plus temps de nier et qu’il est peut-être trop tard pour combattre. Ces infortunées créatures, élevées seulement pour briller et pour plaire, gouvernées par leur instinct et condamnées à une éternelle enfance, font le malheur d’une société dont, mieux dirigées, elles seraient la providence et le salut.

Ainsi Palmyre, roman de mœurs domestiques, a une tendance sociale très marquée. L’auteur plaide plus qu’il ne raconte, et, dans son Inexpérience, il ne sait pas échapper au double écueil du roman-plaidoyer. Le premier, c’est de tomber dans l’exagération du principe, et de rapporter tous les maux à la cause dont on est préoccupé. Que les femmes soient mieux élevées, elles élèveront mieux les hommes, cela n’est pas douteux; mais il restera encore fort à faire, et d’ailleurs l’éducation ne supprime ni les passions ni l’ennui, ces deux causes ordinaires des malheurs domestiques. Le second écueil, c’est que, devant la souveraineté du but, le récit disparait ou se retire modestement à la seconde place, pour laisser la première aux raisonnemens et aux démonstrations. A peine les personnages ont-ils fait un pas, qu’une main qui ne prend pas la peine de se cacher les arrête, et le mouvement d’un plaidoyer se substitue à l’intérêt du roman.

On passerait cependant sur un défaut si grave, mais non sans exemple, si la fiction prouvait réellement ce que l’auteur veut prouver. Malheureusement les tragiques aventures qu’elle met sous nos yeux peuvent provenir de mille causes autres que la mauvaise éducation des femmes. Une jeune fille élevée dans le goût du jour épouse un jeune homme qui réunit tous les avantages, naissance, beauté, fortune, talent et réputation, mais plein de lui-même, despote dédaigneux et railleur, en un mot un de ces tyranneaux domestiques qui tuent à coups d’épingle les victimes qu’on jette entre leurs bras, sans jamais manquer à ces devoirs qu’au pied de l’autel ils ont juré de remplir. Plein de dédain pour sa femme, qu’il trouve trop inférieure à lui pour vivre en communauté d’esprit avec elle, il renonce à faire son éducation; il rougirait de la conduire dans le monde. Bientôt il la relègue à la campagne. Un jour vient cependant où la pauvre délaissée rencontre un homme plus équitable qui parle à son intelligence et l’élève jusqu’à lui. Le cœur aussitôt se met de la partie, et le mari, informé trop tard de ces amours adultères, ne peut que tirer une horrible vengeance de son honneur outragé. Encore meurt-il lui-même de la maladie affreuse qu’il a inoculée à sa femme pour la défigurer.

Que prouve tout cela ? Si le ménage est malheureux au début, c’est la faute du mari. Superbe comme on nous le peint, il eût toujours dédaigné sa femme, alors même qu’elle aurait reçu cette instruction relative qui ne peut manquer de rester au-dessous de celle de l’homme. Il y a plus : par une singulière coïncidence, c’est le jour où l’esprit et le cœur de la jeune femme