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que les poètes romains comparèrent à de longues couleuvres. Les Ouar-Khouni ayant accepté nettement leur rôle d’Avars, les ambassadeurs s’étaient préparés à le soutenir jusqu’au bout, et Kandikh, prenant une attitude qu’il crut convenir à son personnage, prononça à l’audience impériale ce discours passablement arrogant : « Empereur, dit-il à Justinien, une nation vaillante et nombreuse, la plus nombreuse et la plus vaillante de l’univers, vient se livrer à toi. Ce sont les Avars, race invaincue et invincible, capable d’exterminer tous les ennemis de l’empire romain et de lui servir de bouclier. Ton intérêt étant de faire société d’armes avec une pareille nation, et de te l’attacher à tout jamais comme auxiliaire, nous t’offrons notre alliance, pour laquelle il ne faudra que deux choses, faire aux Avars des présens dignes d’eux, leur payer annuellement une pension, et leur concéder de bonnes terres où ils puissent s’établir en paix. » Justinien plus jeune et moins accablé par les calamités publiques (on était alors dans la funeste année 557, au milieu de la peste et des tremblemens de terre) aurait su relever ce que ces paroles renfermaient d’irrespectueux et d’outrecuidant, mais il se contenta de répondre qu’il aviserait, et l’audience fut levée. Le sénat, dont il voulut avoir l’avis, le pria de suivre son inspiration personnelle, toujours si salutaire à la chose publique, et l’empereur fit délivrer aux ambassadeurs, comme gage de bon vouloir, des cadeaux du genre de ceux qui plaisaient aux Orientaux, savoir des chaînes d’or émaillé dans la forme de celles dont on liait les captifs, des lits d’or sculptés propres à servir de couche et de trône, de riches vêtemens et des étoffes de soie brochées d’or. Il les congédia ensuite en leur annonçant qu’ils seraient suivis de près par un officier nommé Valentinus, porteur de ses instructions pour leur kha-kan.

Valentinus était chargé de négocier avec le kha-kan au nom de l’empereur le paiement d’une subvention annuelle à la condition que celui-ci s’engagerait à faire la guerre à tous les ennemis de l’empire du côté du Caucase ; il devait promettre aussi des cadeaux conformes à la dignité de ce chef, mais ne point parler de concession de terres, ou ne s’expliquer sur cet article que d’une façon ambiguë, évitant de rien promettre ni refuser. L’affaire urgente aux yeux de l’empereur était de tourner l’activité dangereuse des Avars contre les ennemis de sa frontière d’Orient. L’historien grec Ménandre loue à ce propos la sagacité de Justinien, et nous révèle un point caché de sa politique : c’est qu’il tenait assez peu à ce que les Avars fussent vainqueurs dans la lutte qu’il provoquait, attendu que l’empire aurait presque également à gagner, soit qu’ils fussent battans, soit qu’ils fussent battus. Quant au chef des Ouar-Khouni, se mettant consciencieusement à l’œuvre, il assaillit d’abord les