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Les ambassadeurs ne crurent point à ce que leur disait Tibère ; ils le remercièrent néanmoins de ses avis et partirent. Ils n’étaient encore qu’à peu de journées de Constantinople, quand une seconde ambassade y entrait. Celle-ci, conduite par un certain Solakh, était partie des bords de la Save immédiatement après l’achèvement du pont : elle n’avait plus rien à ménager et ne ménagea rien. « Empereur, dit Solakh à Tibère, je crois inutile de t’annoncer que les deux rives de la Save sont aujourd’hui jointes par un pont : tu le sais aussi bien que moi, et il est inconvenant de vouloir apprendre aux gens ce qu’ils savent déjà. Sirmium est perdue ; les Avars l’assiègent, et la Save interceptée n’y peut plus porter les vivres dont les habitans ont le plus pressant besoin, à moins pourtant que tu n’aies une armée assez forte pour percer la nôtre, arriver à notre pont et le détruire. Mais fais mieux, crois-moi, renonce à cette mauvaise ville, à ce chaudron qui ne vaut pas le sang que tu verserais pour le conserver. Écoute-moi, empereur : on ne nous ôtera jamais de la tête que les Romains ne tiennent à la paix vis-à-vis de notre kha-kan que parce que leurs troupes sont occupées contre les Perses, et qu’une fois débarrassés de cette dernière guerre ils nous en feront une qui sera rude, car ils disposeront alors de toutes leurs forces. Eh bien ! dans ce cas, nous autres Avars, nous aurons dans Sirmium un rempart pour nous couvrir et une porte pour entrer chez vous sans qu’un grand fleuve et les difficultés d’une longue route nous gênent dans nos opérations. Notre kha-kan jouit à la vérité des présens que l’empereur lui octroie tous les ans ; mais on aurait beau nager dans l’abondance de toutes choses, avoir de l’or, de l’argent et des habits de soie : la vie est encore plus précieuse et mérite la préférence de nos soins. Le kha-kan fait toutes ces réflexions, ô empereur, et trouve dans le passé de quoi se justifier. On lui dit que les Romains, dans les mêmes lieux, par les mêmes moyens, avec l’appât des mêmes largesses et de traités semblables, ont attiré successivement un grand nombre de nations, mais qu’ils ont si bien pris leur temps pour les attaquer, qu’il n’en est pas une seule qu’ils n’aient détruite. Le kha-kan te déclare ceci : Ni présens, ni protestations, ni promesses, ni menaces, ne pourront me faire désister de mon entreprise. Je tiens Sirmium des Gépides ; Sirmium sera à moi ainsi que la presqu’île sirmienne, que je peuplerai de mes sujets. » Tibère à ces paroles s’écria comme frappé d’une douleur mortelle : « Et moi, par ce Dieu que votre kha-kan a pris à témoin pour s’en jouer, ce Dieu qui le punira, je déclare qu’il n’aura pas Sirmium, et que j’aimerais mieux lui donner une de mes deux filles que de lui céder jamais cette place. »

Une guerre bien inégale commença. Les officiers romains, à force