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faite à la femme, et qu’on pouvait considérer comme inébranlable, tant elle semblait le fondement même de la famille et de la société ; modernes, tend à disparaître fatalement. « L’âge de la chevalerie est passé ! » s’écriait douloureusement le brave Edmond Burke en racontant les outrages qu’avait eu à subir la reine Marie-Antoinette pendant les journées d’octobre : que dirait-il donc aujourd’hui ? Une insubordination violente, un certain esprit de brutale indépendance, un goût prononcé pour les plaisirs faciles, rapides, qui sont toujours à portée de la main, et que l’on peut pour ainsi dire avaler comme un breuvage entre deux marchés, la préoccupation ardente du bien-être matériel, sont quelques-uns des traits qui distinguent nos contemporains. Les femmes sont donc délaissées parce qu’elles sont gênantes, et parce que la position traditionnelle que le temps et la religion leur ont faite est en contradiction flagrante avec ces mœurs nouvelles. Les hommes fréquentent encore les femmes, mais seulement par habitude. Ils se détournent bien vite pour aller à des affaires qui font pitié et à des plaisirs qui font peur. Pour quiconque sait voir, il est évident que si le courant moral ne varie pas, cet abandon n’est que le commencement d’un ordre de choses tout nouveau dans la condition de la femme, le présage d’un changement auquel on ne pense pas encore, qu’on ne s’avoue pas, devant lequel on reculerait, mais que l’inévitable logique de la vie ne peut manquer d’amener tôt ou tard.

Quelle sera dans l’avenir la condition de la femme ? Ce qu’on peut affirmer sans crainte de se tromper, c’est que la femme ne peut conserver son ancien empire, si l’homme ne conserve en même temps le respect chevaleresque, l’esprit de dévouement, la noblesse d’âme, la sincérité et la naïveté passionnées qu’il avait portés jusqu’à nos jours dans l’amour, le mariage et la vie de famille. Il est impossible que la liberté de la femme se maintienne, si la femme elle-même n’est entourée d’un respect tout à fait exceptionnel, et il est impossible que ce respect exceptionnel subsiste, si l’amour des jouissances matérielles continue à l’emporter sur l’amour des volupté morales. En vérité on peut dire que chaque fois qu’un nouveau moyen de plaisir est créé, que l’industrie fait un pas nouveau, l’influence de la femme descend d’un degré plus bas. Or il ne semble pas que cet esprit industriel, la seule chose réelle et vivante aujourd’hui, soit prêt à disparaître et à céder la place par galanterie. L’industrie d’ailleurs a ses compensations. C’est elle qui crée le luxe qui sera la dernière consolation des femmes ; abandonnées, délaissées, elles vivront en compagnie des imitations de l’Inde, des parures et des bijoux. Le troupeau féminin pris en masse, toujours séduit par ce qui brille, ne songera pas à se plaindre et se