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naïveté et de la spontanéité de l’âme dans une époque confuse, artificielle et adonnée au mensonge. En Amérique, le réalisme a une autre raison d’être, jusqu’à présent, la littérature américaine a revêtu ces trois formes : l’imitation, l’observation exacte et triviale de la réalité, l’abstraction philosophique. L’imitation n’était qu’une affaire d’habitude et un reste de respect pour l’Europe, et elle est en train de disparaître; en revanche, tous les écrivains qui s’efforcent d’être originaux tombent dans l’un ou l’autre de ces deux défauts, la trivialité ou l’abstraction. La raison en est simple : les Américains n’ont pas de passé, et par conséquent l’idéal pour eux ne peut se fondre dans la réalité. Ils vivent dans l’heure présente et de l’heure présente. Dans nos vieilles sociétés, toutes bouleversées qu’elles soient, le passé maintient encore ses droits. Nous le portons en nous, il fait partie de notre vie; il brille dans nos yeux, parle par nos lèvres, et si nous avions assez de force d’attention pour nous écouter et nous observer, nous surprendrions souvent dans nos sentimens et dans nos actes un certain élément historique qui, combiné avec nos vertus et nos vices personnels, communique à notre existence une élévation, une idéalité romanesque, un charme imprévu, qu’elle n’aurait pas, si nous appartenions à un peuple né d’hier. Chez nous, la vie, malgré la teinte d’uniformité qui s’étend sur tous les caractères, n’est donc pas sans idéal. Rien de pareil n’existe en Amérique; la vie y a encore tous ses ennuis vulgaires, tous ses soucis mesquins, toute sa lourde monotonie, sans avoir les compensations qu’une longue existence apporte avec elle, les beaux souvenirs, matières à rêveries sans fin, l’intelligence exquise et raffinée des beautés naturelles, l’habitude des arts, la faculté, finement aiguisée dès le berceau, de sentir et de jouir. L’éducation de nos sens est faite depuis notre enfance; nos pères nous l’ont léguée pour ainsi dire avec leur sang; nous pouvons percevoir, même au milieu de la vie la plus vulgairement occupée, mille nuances délicates. Cette éducation de l’âme et des sens ne s’est pas faite encore en Amérique. Aussi les Américains se trouvent-ils condamnés fatalement à décrire une vie qui n’a encore rien d’idéal, ou à chercher dans des combinaisons abstraites de sentimens l’idéal qui leur manque. Nathaniel Hawthorne, un des plus remarquables conteurs de l’Amérique, parcourt tout le champ du possible philosophique pour y trouver l’élément qui lui manque. Il fait des assortimens de sentimens comme un peintre des assortimens de couleurs; il se pose des problèmes moraux. Si l’écrivain américain n’emploie pas ce procédé d’analyse abstraite, il cherchera cet idéal, comme Edgar Poë, dans le merveilleux moderne, le magnétisme, les aérostats, l’électricité. Il lui reste encore la ressource de mettre en poème quelque question politique brûlante,