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bienfaiteurs autant d’affection que de haine pour ses ennemis. Une intimité, — germe d’un de ces amours durables qui ne sont pas comme les passions de l’âge mûr, l’effet d’un hasard ou d’un accident, qui ont leurs racines dans l’enfance, et croissent à mesure que la vie se développe, à la manière des plantes et des arbres — se forme bientôt entre la jeune fille et Willie, le fils de mistress Sullivan, enfant dévoué, aimant et ayant au service de dévouement une santé robuste et une activité tout américaine, amour naissant est décrit avec charme, il laisse dans l’esprit impression douce et triste à la fois. Les deux enfans sont bons gracieux; mais le milieu dans lequel ils sont placés est si froid, leur condition si humble, la chambre témoin de leurs jeux si dépouillée! Il y a toujours quelque chose de mélancolique dans les passions les plus heureuses, lorsqu’elles ne se produisent pas dans un riche milieu, lorsqu’elles ne sont pas environnées comme de draperies et d’ornemens par l’aisance, le repos, la tranquillité de l’esprit. La gêne, la pauvreté, l’inquiétude du lendemain, le souci de la vie matérielle enveloppent et décolorent les généreuses flammes du cœur. L’amour dans ces conditions peut être assez bien représenté par la lutte pénible de la lumière contre les brumes épaisses de l’hiver. Willie et Gerty passent de longues heures ensemble, suivent dans ses expéditions nocturnes l’oncle True, admirent ensemble les flammes qu’il allume, les éclairages des boutiques, les étalages des marchands, prennent les mêmes goûts, les mêmes habitudes. Un jour, le patron de Willie meurt subitement et laisse le pauvre enfant sans emploi. Pendant plusieurs mois, il va frapper de port en porte pour trouver une nouvelle place, et il est près de se livre au désespoir, lorsqu’il reçoit pour étrennes, la veille de Christmas, la nouvelle que le riche marchand Clinton désire l’employer dans se bureaux. Quelques pages touchantes et assez vivement senties sont consacrées par l’auteur à la description de ces tristesses et de ce joies. Willie entre en qualité de commis chez M. Clinton et part bien tôt pour les Indes, emportant avec lui pour toute fortune les vivaces espérances de la jeunesse et l’amour de Gerty.

Cependant le temps marche et pèse toujours plus lourdement sur la tête du bon oncle True. Les forces du vieillard diminuent; il devient infirme. Il reçoit maintenant la récompense de ses anciens bienfaits. Gerty veille à son chevet, prépare ses repas, l’accompagne ou plutôt le soutient dans ses courtes promenades quotidiennes. l’oncle True fait presque l’envie de ses voisins, tant Gerty lui témoigne d’affection et de sollicitude. «Vraiment, se dit mentalement Mme Peekout en mettant la tête à la fenêtre, cet enfant semble beaucoup aimer ce vieillard; c’est sans doute son grand-père. Voyez que d’attentions et de soins ! Elle lui laisse le meilleur côté du trottoir et surveille chacun de