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Prusse, au régime parlementaire. Grâce à l’agitation et à la lutte des partis, tout se sait et se redit à Berlin, et, chose curieuse, parmi ces partis, le moins réservé, celui qui livre avec le plus d’indiscrétion, on pourrait même dire avec forfanterie, ce que ses adversaires ont le plus d’intérêt à connaître, est le parti le mieux établi à la cour, le parti de la croix. La seconde raison est la place élevée que la Prusse occupe dans la confédération et l’attitude que son gouvernement a prise dans la question d’Orient. L’union de l’Allemagne et sa coopération avec les puissances occidentales dépendaient de la Prusse, et tout le monde sait que la politique du cabinet de Berlin a été la cause des indécisions et des lenteurs de l’Allemagne jusqu’à ce jour. La politique du cabinet de Berlin formera donc l’objet principal et l’unité de ce récit.


I.

On emploie à Pétersbourg un mot pittoresque pour désigner ces altérations systématiques de la vérité qui sont si fréquentes dans le monde officiel de Russie, dont le cabinet russe est si prodigue envers l’Europe, et dont l’empereur lui-même est souvent victime de la part de ses agens : cela s’appelle l’enguirlandage. Disons donc tout de suite, pour parler poliment, que la mission du prince Menchikof à Constantinople fut présentée à la Prusse comme aux autres puissances sous une trompeuse parure de guirlandes. Dans le principe, le cabinet russe n’avait fait aucune communication au cabinet de Berlin relativement à la mission Menchikof. Plus tard, quand les affaires allaient se gâter à Constantinople, M. de Manteuffel écrivit à M. de Nesselrode pour lui exprimer ses inquiétudes et le prier de détourner de l’Europe les dangers dont les prétentions russes la menaçaient. Le chancelier prit la chose sur le ton léger, et, tout en rassurant le ministre prussien, lui répondit que cette question devait être regardée par l’Europe comme une de ces affaires domestiques que l’on débat en famille, et dont on poursuit la solution à sa convenance et au moment que l’on croit opportun. Lorsque le prince Menchikof eut présenté sa sommation à la Porte : « Que ferez-vous, demandait-on au ministre de Russie à Berlin, si votre ultimatum est rejeté ? — Mais rien, » répliquait nonchalamment M. de Budberg. Dans la suite, le gouvernement prussien s’est plaint plus d’une fois d’avoir été trompé à cette époque, et grossièrement trompé par la cour de Pétersbourg.

Il faut rendre cette justice à la prévoyance de M. de Manteuffel, qu’il s’inquiéta dès le début des suites de cette affaire d’Orient, et à la confiante bonne foi du roi de Prusse, que, séduit par